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Cinq questions à Catherine Hunold

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Interview
27 mars 2014

Infos sur l’œuvre

Détails

 

Posée, chaleureuse et solaire, Catherine Hunold est LA soprano dramatique française qui monte. Après des débuts remarqués dans l’univers Wagnérien, elle élargie déjà sa palette vocale avec des belles redécouvertes de raretés du répertoire. La semaine prochaine elle sera Bérénice dans l’œuvre éponyme de Magnard à l’Opéra de Tours. Rencontre avec une artiste exigeante et généreuse.

Est-il facile de trouver sa voix ?

Je ne crois pas que l’on « trouve » sa voix, il me semble plutôt qu’on l’apprivoise, qu’on apprend à la connaître, comme un artisan ses outils. Le verbe trouver sonne de manière un peu figée, alors que l’expérience du chant est mobile par essence, tout y est geste, flux…
Ce qui est certain c’est que toute petite déjà je voulais faire de la musique : le conservatoire se trouvait en bas de chez moi, et je tannais ma mère pour rentrer dans ce lieu qui m’attirait irrésistiblement alors que j’étais encore en maternelle ! J’ai débuté le chant à 11 ans dans une maîtrise qui m’a amené rapidement sur la scène de l’Opéra Comique et j’ai enregistré mon premier disque comme soliste à 13 ans avec l’ensemble A Tre Voci de Catherine Durouchoux avant d’entrer dans la classe de chant de Daniele Millet à Colombes à 15 ans. J’avais une voix facile, des médiums naturels, et cette enseignante m’a – avec beaucoup de finesse – appris à oser, à utiliser mes muscles ; elle m’a fait chanter.

Votre formation ensuite, a été jalonnée de rencontres avec des artistes lyriques de premier plan. Que vous ont-il transmis ?

Effectivement, j’ai eu la chance de croiser de grands artistes avec qui j’ai pu travailler ou discuter du métier ; on s’enrichit de ces rencontres qui nous aident à comprendre nos outils et à savoir les utiliser.
J’ai travaillé d’abord quatre ans dans la classe de Mady Mesplé, au Conservatoire de St Maur-des-Fossés. Elle m’a enseigné la conscience du travail, la rigueur, la précision musicale et à être très souple en assimilant beaucoup de partitions, très rapidement. Mady Mesplé a formé mon oreille, mon goût de musicienne et m’a permis d’explorer toute la longueur de ma voix, même si elle était obnubilée par l’idée de hauteur. Auprès d’elle, j’ai fais l’apprentissage du style propre à chaque répertoire avec une prédilection pour des rôles alliant colorature et puissance comme Mireille ou surtout Constanze dans L’Enlèvement au Sérail. Elle me disait « Catherine, vous chanterez Wagner et Mozart ». Ce mélange de flexibilité, de médium très présent, de vaillance, je le retrouve aujourd’hui dans les œuvres que je sers.
Mady Mesplé n’a pas été la seule rencontre déterminante dans mon parcours. De nature très curieuse, j’ai passé beaucoup de concours. Ils sont pour moi comme un révélateur, ils permettent à la fois autocritique et autoévaluation et sont l’occasion de moments intenses : c’est lors d’un concours que Guy Joosten m’a invité par exemple à rejoindre l’Opéra Studio des Flandres, ou nous montions un opéra chaque mois, l’occasion d’apprendre à travailler aussi vite que bien et de monter par exemple un récital avec Graham Johnson. Chanter avec un tel soliste, qui vous porte, simplement par son interprétation, ce fut un privilège ! Il m’a appris à faire confiance à mes partenaires, musiciens, chefs ou metteurs en scène.
C’est également à Guy Joosten que je dois ma rencontre avec Margaret Price, mon idole ! Travailler avec elle, l’entendre – car elle montrait énormément – discuter avec elle, était extraordinaire. Elle m’a enseigné l’intégrité du chanteur face à la partition et était persuadée – tout comme Christa Ludwig quelques années plus tard – que j’étais appelée à chanter Verdi.
Christa Ludwig est une autre rencontre déterminante. Elle m’a choisie pour un été de masterclass à la fondation Villecroze et incarne pour moi la générosité professionnelle : elle m’a permis d’obtenir la bourse de la fondation et le dernier jour de la formation m’a glissé un papier qui comportait une date, une heure et les mots « Staatsoper, Wien » : elle m’avait obtenu une audition avec Yann Hollander ainsi qu’avec son agent viennois qui est également devenu le mien.

Il y a des rencontres professionnelles qui comptent dans un parcours, mais également de véritables rencontres avec des personnages. Y a-t’il un rôle qui vous tienne particulièrement à coeur ?

Absolument, Isolde tient une place particulière dans mon parcours. Pour l’évoquer il faut remonter un peu dans le temps, lorsque je fus finaliste des Wagner Voice en interprétant les « Wagner blonds » que sont Elsa et Elisabeth. Ce fut très fort d’être reconnue dans ce répertoire par les grands wagnériens qui étaient membres du jury. Ce fut un véritable choc aussi d’assister alors – en récompense – au Parsifal de Boulez. J’en ai conçu une attirance irrésistible pour ce répertoire et quatre ans plus tard, à l’Opéra d’Etat de Prague, je chantais ma première Isolde ; je débutais avec le plus léger !
Ce fut une véritable rencontre avec un rôle et au final, une révélation. Le jour de la Première, on n’avait pas encore filé l’opéra une seule fois ; je ne savais pas si j’étais capable de tenir le rôle sur toute sa longueur ! Quand le rideau s’est ouvert, j’ai senti qu’il se passait quelque chose ; j’étais à ma place, en accord avec moi-même ; toutes les pièces du puzzle se mettaient en place, comme une évidence.
Isolde, c’est un rôle qui me réunit dans son exigence même : exigence de couleurs, de vaillance, d’endurance avec cette tessiture – presque mezzo au début et jusqu’au contre-ut – avant le « Mild und Leise » et ce Fa final, piano, flottant, lumineux après 6 heures d’opéra qui impose de conserver la lumière jusqu’à la fin.

Après une Brünnhilde très remarquée à l’Opéra de Rennes, vous semblez actuellement vous spécialiser dans un répertoire de raretés françaises. Parlez-nous de ces partitions et plus particulièrement de Berenice qui sera à l’affiche à Tours les 4, 6 et 8 avril prochain.

Il faut d’abord dire un mot de Brünnhilde… J’ai adoré chanter ce rôle ! Le personnage est très beau, à la fois une guerrière, mais avec quelque chose d’enfantin, puisqu’elle se découvre femme. La tessiture aussi en est redoutable avec un air d’entrée assez haut et qui bascule presque immédiatement dans le quasi contralto ; or j’adore travailler sur les extrêmes. Cette production a également été l’occasion d’avoir Willard White pour partenaire. Il fait partie de ces collègues avec qui les mots sont inutiles, un Wotan à la présence magnétique, une évidence humaine et artistique…
Pour ce qui est des raretés, je ne crois pas m’y spécialiser, mais je profite des circonstances, d’une curiosité nouvelle pour tout ce répertoire romantique français qui est justement écrit pour ma typologie vocale. Je suis donc amenée à interpréter ces personnages et j’en suis ravie !
Je suis curieuse, j’aime apprendre, découvrir ; participer à ces redécouvertes est enthousiasmant, vivifiant. L’artiste y est très libre car si il a le répertoire dans l’oreille, en revanche ici, il peut se permettre de chercher sans aucune image sonore préalable.
En général je travaille seule sur mes partitions, je me questionne sur le style, sur la manière de servir au mieux l’œuvre pour le public, pour qu’il puisse s’en saisir. Je ne suis qu’une interprète, un médium, j’ai un grand respect pour le texte pour ce que le compositeur a voulu dire, y compris dans les silences, la recherche des couleurs… Le travail avec le chef ensuite est passionnant mais ne prend sens véritablement que lorsque j’entends l’orchestre et qu’enfin je peux explorer la manière dont la voix vient se poser, se fondre en lui.
Je cherche jusqu’au dernier moment et même chaque soir car j’aime à constamment réinventer le son, l’émotion. Je crois à ce travail perpétuel d’expérimentation imaginaire, sonore et émotionnelle. Le son pour le son ne m’intéresse pas, je pense qu’il est la résultante d’une émotion juste. Et en cela Bérénice est un rôle sublime, j’en suis obsédée ! Cette femme allie la grandeur des sentiments et une vérité humaine extraordinaire.
L’expérience de la rupture amoureuse est universellement partagée et parle au public d’aujourd’hui. Or, c’est non seulement une rupture qui est ici donné à voir et à entendre, mais une rupture sublime !
Le texte de Magnard – qui a composé à la fois la musique et le livret- est assez cru, il est assez inhabituel d’entendre ces mots-là sur une scène lyrique. Le texte est d’une sensualité profonde, et la musique participe de cette profondeur. Le spectateur est au plus près du cœur du personnage qui manifeste une grande force, une grande dignité. Plus je la travaille, plus j’aime cette œuvre qui est un grand opéra.
J’ai eu la chance, la même semaine d’interpréter les airs d’Ortrud sur la scène de l’opéra de Rennes avant de jouer le rôle en intégrale la saison prochaine dans la même maison. On pourrait imaginer que ces deux êtres sont aux antipodes, mais ce n’est pas le cas car ils sont tous deux profondément féminins, comme les deux faces d’une même essence. Ortrud aspire au pouvoir alors que Bérénice l’a déjà et choisit de s’en défaire afin que l’homme qu’elle aime, Titus, puisse régner. Elles sont l’ombre et la lumière – ou plutôt une lumière maléfique s’agissant Ortrud – et toutes deux sont formidables à interpréter.

Vous aimez apparemment les personnages forts, y a-t-il de nouveaux territoires vocaux qui vous attirent ?

Forte de mon expérience dans la musique française et allemande, j’aimerais réinvestir le répertoire italien. On me parle beaucoup de Turandot et je suis assez tentée par ce personnage, qui est déjà dans ma boite à outils, et qui m’offrirait l’expérience troublante d’un rôle qui ne dure que 30 minutes… même s’il n’est pas reposant pour autant !
Il y aurait aussi Minnie dans La Fanciulla del West, Giorgetta dans Il Tabarro, La Forza del Destino ou encore Lady Macbeth que j’ai déjà abordée et qui est pour moi comme un Ortrud verdienne.
J’aime la confrontation de deux univers, de personnages très lumineux et très sombres ; quoi de plus passionnant que de travailler sur les failles, d’élargir la palette émotionnelle d’une incarnation ?
J’aimerais également continuer à explorer Wagner, bien entendu : chanter tout le rôle de Brünnhilde dans les trois journées du Ring où elle apparaît ; reprendre celui d’Isolde qui me nourrit tant…
Enfin, comment ne pas rêver d’interpréter Strauss ! On m’a plusieurs fois proposé Salomé, mais les projets n’ont pas abouti pour l’instant. Il y aurait également Elektra, Die Frau ohne Schatten… De nombreuses merveilles à venir, donc !
 

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