Vous interprèterez prochainement Don Quichotte à l’Opéra national de Paris., un rôle écrit par Massenet à l’intention du légendaire Féodor Chaliapine. Est-ce intimidant ?
Non, je ne suis pas intimidé. Et je vais vous dire pourquoi. Aujourd’hui, les personnes qui ont entendu Chaliapine chanter Don Quichotte sur scène ne sont plus de ce monde. Toute comparaison est donc impossible. Les difficultés du rôle ne sont pas vocales. L’écriture n’est pas particulièrement exigeante dans l’aigu comme dans le grave. Le plus difficile est d’interpréter un personnage auquel selon moi tout le monde peut s’identifier, auquel chaque artiste même peut s’identifier. Il s’agit d’un homme qui croit que la vie est plus importante qu’elle ne l’est – ou qu’elle doit être plus importante qu’elle ne l’est. Il a la folie des grandeurs. Il met une femme sur un piédestal ; il s’attend à ce qu’elle soit parfaite ; il est effondré lorsqu’il découvre qu’elle ne l’est pas. Il a besoin de croire que sa vie a un sens, qu’il est noble et honorable. Je pense que c’est le sort de beaucoup d’entre nous. Les difficultés du rôle ne sont pas d’exploiter ces caractéristiques mais de les exprimer d’une manière réelle et authentique. Je m’y suis préparé en mettant en regard ce que Don Quichotte a vécu et ce que moi-même j’ai vécu. Il m’a été très facile de puiser dans mes expériences personnelles, mes traumatismes, mon enfance pour caractériser le personnage.
Quelles sont les difficultés posées par l’opéra français pour un chanteur non francophone ?
Je ne ferai jamais croire à quelqu’un qui m’écoute que je parle français. Je travaille sans relâche pour que mon accent soit le moins audible possible. Mais je n’ai aucune illusion sur le fait que je serai toujours un américain chantant en français. J’y suis résigné. Alors ce à quoi je veille, c’est à être compris. J’ai beaucoup d’experts autour de moi qui me rappellent de fermer telle voyelle, de mettre plus d’emphase sur tel mot ou de m’assurer que mes consonnes finales sont claires dans telle phrase. Je me donne donc beaucoup de mal pour me faire comprendre.
Don Quichotte (répétitions) © E. Bauer / Opéra national de Paris
L’opéra allemand est absent de votre répertoire aujourd’hui. Est-ce volontaire ?
Oui, c’est délibéré. J’ai passé de nombreuses années – vingt ans – à essayer de chanter du grand opéra français. Et Verdi, qui était mon véritable amour ! Je voulais chanter tous les méchants. Et c’est ce que je fais en ce moment. Et il m’a fallu beaucoup de temps pour en arriver là. Je ne vois donc aucune urgence à me tourner vers le répertoire allemand. Je n’en ressens pas le besoin. Je ne me sens pas prêt. Je ne m’y risquerai que lorsque je penserai pouvoir mieux le faire que d’autres. Pour l’instant, je n’en suis pas là. Il y a des chanteurs qui le font très, très bien. Et je leur souhaite le meilleur.
Comme beaucoup de basses, vous êtes familier des rôles diaboliques. Lequel a votre préférence ?
J’aime toutes les versions de Méphistophélès, que ce soit chez Gounod, Boito ou Berlioz. J’aime le personnage de Méphisto. Méphisto n’est pas le diable. Méphisto travaille pour le diable et c’est la façon dont je le dépeins. Quel que soit l’opéra, je m’assure que Méphisto s’amuse beaucoup. Et si je m’amuse beaucoup et que Méphisto s’amuse beaucoup, c’est que le personnage est correctement interprété. Que vous fassiez des choses diaboliques ou maléfiques, c’est le plaisir que vous en retirez qui fait de lui un personnage si attirant à mes yeux. Vous savez, nous n’avons pas vraiment l’occasion de nous comporter ainsi dans la vraie vie, pour des raisons évidentes. Mais le jouer sur scène s’avère source de satisfactions.
Depuis 2019 (Narbal dans Les Troyens), vous êtes régulièrement invité à l’Opéra national de Paris. Quelle différence existe-t-il entre la manière de travailler – et de vivre – à Paris et à New York ?
Il n’y a pas de différence dans la façon de travailler. C’est assez universel, surtout dans ces grandes maisons internationales. La plupart des répétitions se déroule en anglais, que je sois en Amérique, à Londres, Munich, Vienne ou Paris. Donc, la façon de travailler n’est pas différente. S’il existe de subtiles différences, elles sont culturelles. L’éthique de travail est très similaire. Je me sens extrêmement chanceux. Il n’y a pas un seul chanteur au monde qui ne veuille pas se produire sur la scène de l’Opéra national de Paris. C’est un des trois plus grands opéras au monde. Je m’y sens comme chez moi loin de chez moi. J’aime vraiment et sincèrement cette ville et j’aime y vivre. Vous savez, mon domicile en Amérique est un peu à la campagne, et donc quand je suis ici, c’est l’affluence et l’excitation de vivre dans un monde si rapide. Ce n’est ni mieux, ni moins bien. C’est juste complètement différent. Voilà. Merci beaucoup pour votre travail. J’adore votre site web. Je l’ai beaucoup consulté. J’ai lu récemment l’interview de Christof Loy. Christoph est un de mes vieux amis. C’était amusant de le lire en ligne. Je vous souhaite le meilleur.