Le baryton espagnol Enric Martinez-Castignani, qui fait ses débuts en France, vient d’interprèter le rôle de Kolenaty dans L’Affaire Makropoulos proposée cette saison par l’Opéra du Rhin. Il sera Papageno au Palais de Beaux Arts de Bruxelles le 30 avril prochain.
Avec le rôle du Docteur Kolenaty dans L’Affaire Makropoulos, vous abordez pour la première fois le répertoire de Janacek. Quelles difficultés avez-vous rencontré ?
Lorsque Marc Clémeur m’a proposé ce rôle, j’ai été très agréablement surpris. J’en ai parlé à des collègues qui m’ont dit que L’Affaire Makropoulos était une des œuvres les plus difficiles du répertoire d’opéra. Je me suis plongé dans la lecture de la partition et j’ai trouvé le rôle particulièrement intéressant. J’ai compris que c’était une chance à ne pas laisser passer et j’ai pris le risque d’accepter un tel enjeu. Comme je n’avais jamais chanté en tchèque, je me suis mis au travail. Il m’a fallu une année pour assimiler mon rôle, j’ai appris par cœur le texte et le sens de chaque mot. Ensuite j’ai dû m’initier à la technique du parler-chanté de Janacek, ce qui n’avait rien d’évident car le Dr Kolonaty parle beaucoup et très vite (mais pas plus que Dulcamara, Bartolo, Taddeo, Papageno ou Don Profondo). J’y suis parvenu avec beaucoup de patience et d’acharnement. Là-dessus s’est greffée une difficulté majeure : incarner un personnage qui est toujours de mauvaise humeur ! Je n’y serais jamais parvenu sans l’aide de Robert Carsen.
Justement, qu’est-ce que votre travail avec Robert Carsen vous a apporté?
Cela se résume en trois syllabes : mer-veil-leux ! Je suis monté sur scène dès cinq ans. J’ai d’abord été acteur, puis chanteur. J’ai travaillé avec de nombreux de metteurs en scène et rares étaient ceux qui avaient la capacité de nous faire découvrir de nouvelles façons d’aborder notre rôle, de rompre avec la routine. Avec Robert, tu peux t’identifier très profondément avec ton personnage, éprouver tous ses sentiments, il t’aide toujours à trouver le bon chemin pour y parvenir. Le rôle du Dr Kolenaty est aussi difficile à chanter qu’à interpréter parce qu’il y a mille choses à faire, mais avec Robert, tout m’a semblé facile. Cela signifie qu’il a bien fait son travail.
Quelle est votre propre vision de L’Affaire Makropoulos?
Pour moi, cet ouvrage est un véritable trésor, l’argument en est excellent et la musique admirable. Nous la ressentons très profondément et intimement sur scène. Le sujet peut paraît étrange au premier abord : une femme de 337 ans qui recherche la formule de l’élixir qui lui permettra de vivre 300 ans de plus. En réalité, il est très actuel, les gens d’aujourd’hui aimeraient vivre ad vitam aeternam ! Le personnage d’Emilia Marti nous aide à comprendre, tout particulièrement dans la dernière scène, qu’il n’est pas intéressant de vivre trop longtemps. A mesure que le temps passe, on perd tout ce qu’on aime : patrie, amis, amours. Il est difficile de conserver intactes ses passions et son espérance dans la vie de tous les jours, imaginez-vous ce que ce serait s’il fallait encore vivre 300 ans ! Je trouve cet opéra très zen. Il faut profiter de la vie dans l’instant et là où l’on se trouve.
Vous faites vos débuts à l’Opéra de Strasbourg et en France. Avez-vous constaté des différences avec vos expériences dans d’autres pays?
Non, en général il n’y a guère de différences. Dans ce cas précis, l’Opéra du Rhin est un merveilleux théâtre, il fonctionne très bien, les collaborateurs font preuve d’un grand professionnalisme et je me suis senti comme chez moi. J’ai été très surpris du haut niveau de ce théâtre. Où peut-on voir deux productions qui se suivent avec à l’affiche deux noms aussi prestigieux que MacVicar dans Götterdämmerung et Carsen dans Vec Makropulos ? Seulement sur les scènes de premier plan !
Dans quelle direction allez-vous orienter votre répertoire? Comment voyez-vous votre avenir?
Difficile de répondre. Jusqu’ici, j’ai chanté parallèlement le répertoire de baryton bouffe belcantiste avec des rôles que j’interprète partout : Bartolo, Dulcamara, Don Magnifico, Malatesta, le Figaro des Nozze etc…, et le répertoire sérieux, opéra, oratorio ou lied, en particulier Winterreise, Schwanengesang et Dichterliebe que j’ai interprétés avec de grands pianistes comme Dalton Baldwin. Le rôle de Kolenaty est un bon mélange des deux genres, nous verrons bien ce qu’apportera le futur. Le plus important pour moi est de réussir le mieux possible ce que j’entreprends et de permettre au public de jouir au maximum, par mon intermédiaire, de la beauté des œuvres que j’interprète.
Propos recueillis par Elisabeth Bouillon
Enric Martinez-Castignani © DR