Pourquoi avez-vous décidé de devenir chanteuse d’opéra ?
J’ai grandi bercée par l’opéra et la musique grâce à ma mère qui est aussi chanteuse lyrique. Elle m’amenait tout le temps à l’Opéra de Bordeaux. J’ai été marquée par ces moments où les artistes répètent sur scène. J’ai été tout de suite complètement éprise de ce monde, les histoires, les décors, costumes, les lumières, la musique. C’est plus tard que l’envie de chanter est venue. J’ai d’abord intégré le choeur d’enfants de l’Opéra et puis un jour la première professeure de chant de ma mère qui a été toute sa vie soliste à l’Opéra de Bucarest a insisté pour que je travaille ma voix car elle pensait que j’avais un instinct de chanteuse et une grande facilité pour les aigus.
Vous avez remporté plusieurs prix. Lequel a été déterminant pour votre carrière ?
J’ai eu la chance d’être remarquée dans quelques concours. Je dirais que le plus important dans ces concours sont les personnes que j’y ai rencontrées, surtout celles qui ont tout de suite remarqué mon potentiel avant que je sois tout à fait prête vocalement et qui m’ont tendu la main pour me faire avancer. Notamment, le concours Debut en Allemagne même si je n’y ai pas remporté de prix. Plus récemment, il y en a eu trois qui m’ont apporté beaucoup. D’abord, le bonheur de rencontrer la soprano Jessica Pratt et de bénéficier de ses conseils et de son soutien grâce au concours Ottavio Ziino de Rome. Le concours Enesco Paris qui me permet de retourner chanter en Roumanie puisque je vais débuter dans Don Pasquale le mois prochain à Brasov (Norina), et le concours de Manhattan qui m’a offert l’expérience de chanter au Carnegie Hall en juillet dernier.
Comment avez-vous découvert la musique de Thomas Adès ?
J’ai découvert la musique de Thomas Adès assez tôt dans mes études vocales grâce à la soprano Elena Vassilieva qui est spécialisée dans la musique contemporaine. L’air d’Ariel dans The Tempest, m’a-t-elle dit, correspond à ce qu’une vraie colorature doit pouvoir chanter aujourd’hui. En écoutant l’opéra, j’ai tout de suite été fascinée par l’univers musical d’Adès et j’ai voulu développer ma voix de manière à pouvoir chanter sa musique un jour. Son Exterminating Angel, je l’ai découvert grâce à la retransmission du Metropolitan Opera. En voyant Audrey Luna interpréter ce personnage de Leticia, j’étais très admirative et en même temps je me disais : « Oh là là non ! Cela va beaucoup trop haut, je ne vais pas m’en approcher ». C’est plutôt drôle quand on y pense, quelques années plus tard, le compositeur Thomas Adès en personne me remarque et me donne sa confiance pour son personnage de Leticia après avoir écouté un enregistrement de quelques extraits du rôle faits en catastrophe à 9h du matin un dimanche chez le pianiste Antoine Palloc.
Comment vous préparez-vous à interpréter le rôle de Letitia, et notamment ses notes extrêmes – jusqu’au contre-la?
La préparation a été intense car j’ai eu deux mois pour travailler ce rôle. Je m’entraîne tous les jours pour habituer mes muscles à cette tessiture. Ressentir l’évolution de ma voix me donne de plus en plus de plaisir et de tranquillité pour chanter le rôle. Le contre-la a toujours fait partie de mon étendue vocale, l’entraînement a été surtout de gagner en flexibilité et muscler toute l’étendue de ma voix, chose sur laquelle je n’insistais pas particulièrement auparavant. Je n’utilisais pas systématiquement la partie la plus haute de mon instrument. Les notes après le contre fa étaient dans ma tête des notes joker. Là, il a fallu que ces notes joker deviennent des notes aussi « normales » que le reste de la tessiture. J’ai dû surtout faire un grand travail mental pour me faire à l’idée de ce début surprise. Je me sens tellement chanceuse de travailler avec un musicien brillant comme Thomas Adès. Sa confiance est un grand honneur et m’a donné le courage dont j’avais besoin pour me lancer dans cette aventure. Je suis aussi extrêmement bien entourée par ma famille et les petites fées qui m’aident à me préparer notamment Alessandro Luciano, mon professeur de chant qui n’a jamais eu aucun doute sur ma capacité à chanter ce rôle très acrobatique lorsque moi-même je me posais des questions. Ils m’ont tous entourée de bienveillance et offert un espace sans jugement pour me donner le temps de m’approprier cette nouvelle palette vocale. Pour les remercier, je leur ai fait cadeau de quelques paires de boules Quies !
L’opéra contemporain a la réputation d’être difficile d’accès. Faut-il avoir peur de The Exterminating Angel ?
Je pense qu’il s’agit d’un opéra à voir absolument. D’abord pour l’univers d’Adès. Sa musique est envoutante, c’est un chef-d’œuvre qu’on pourrait juste écouter sans regarder car toute l’expression du film de Buñuel est déjà pleinement traduite par la seule palette sonore. Si l’on ajoute la vision de Bieito c’est une gifle ! C’est drôle, c’est sordide, c’est dramatique, c’est animal, c’est beau, c’est sauvage, c’est glaçant, c’est pittoresque, c’est vrai, ça brise les règles. Calixto Bieito a l’œuvre de Bunuel dans le sang. Sa mise en scène nous donne une liberté gigantesque et nous pousse à aller plus loin dans nos instincts à chaque instant. Je pense que l’expérience sera inoubliable pour nous tous, mais aussi pour les spectateurs à qui je souhaite de tout cœur de voir souvent des œuvres de cet acabit à l’opéra.