Son Otello à Bad Wilbad nous avait mis la puce à l’oreille. « Voix belle, aigus faciles et percutants, vocalises évidentes et graves impressionnants* » : un baryténor était né. Du 5 au 15 avril prochains, Michael Spyres interprètera sur la scène de l’Opéra-Comique Masaniello dans La Muette de Portici, un rôle particulièrement exigeant et des débuts parisiens particulièrement attendus. Deux bonnes raisons pour cinq questions.
Quel répertoire vous semble aujourd’hui le mieux adapté à votre voix ?
Personnellement, je pense que la grande tradition française d’opéra est celle qui me convient le mieux. Je la trouve extrêmement satisfaisante parce que son écriture permet d’utiliser toutes les couleurs de la voix, d’être un artiste vocal au sens propre. Parmi les airs que j’ai choisis pour mon dernier disque (ndlr : A fool for love, Delos) , je dirais que The Rake’s Progress est ce qui correspond le mieux à ma personnalité et à ma voix. J’adore la musique, et cette histoire complexe d’un jeune homme qui aspire à une vie meilleure : à mesure qu’il « progresse » à l’intérieur de l’opéra, on voit tout ce à quoi il doit renoncer pour avoir cette vie qu’il croyait désirer. En fin de compte, Tom Rakewell est une parabole sur le thème de ce qu’il faut abandonner pour obtenir ce qu’on veut. Dans le cas de Tom, c’est à sa santé mentale qu’il doit renoncer, autrement dit il perd ce que chacun a de plus précieux, sa personnalité. Un rôle que je pense bientôt pouvoir aborder, c’est Rodolfo. Malheureusement, la façon dont on interprète Puccini aujourd’hui appelle des voix plus larges, plus mûres, et je pense qu’il s’écoulera encore quelques années avant que je puisse lui rendre justice.
Le rôle de Masaniello fut écrit pour rien moins qu’Adolphe Nourrit. Cela ne vous fait pas peur ?
Au contraire, je suis très excite à l’idée de chanter Masaniello ! On a très rarement l’occasion de chanter un rôle pareil. La difficulté, en scène, c’est que le corps doit être fort et viril sans jamais devenir tendu. C’est un rôle très masculin et je dois veiller à ce que l’intensité dramatique ne compromette pas ma voix. Vocalement, c’est une partition stupéfiante, mais je dois avouer que l’air de l’acte IV avec sa cavatine est particulièrement difficile puisque l’on commence sur le mode héroïque et qu’il faut tout à coup passer à l’une des mélodies les plus belles et les plus délicates jamais écrites, « Du pauvre seul ami fidèle ». J’ai étudié la véritable histoire de Masaniello, mais je me suis très vite laissé emporter par le livret de Scribe. L’opéra s’éloigne un peu de la réalité historique. Cela donne une action théâtrale formidable puisque l’un des principaux rôles féminins est une actrice muette, qu’incarne de façon phénoménale Elena Borgogni dans notre production. J’ai entendu beaucoup de gens parler des difficultés qu’il y a apparemment à monter cette œuvre, mais quand ils verront notre version de La Muette, je pense qu’ils seront étonnés par ses qualités dramatiques, ce qui en dit long sur la valeur de notre équipe créative.
Entre Otello de Rossini et Masaniello d’Auber, votre cœur balance ?
Pour être franc, les rôles de baryténor comme Otello me vont comme un gant. J’ai démarré comme baryton mais ensuite, j’ai appris à chanter en voix de ténor. Les baryténors me conviennent mieux que la plupart des rôles ordinaires, sans doute parce que ma voix se situe réellement au milieu de la tessiture. J’aimerais avoir une carrière comme celle de Ramon Vinay, pouvoir alterner Otello et Iago, parce que les barytons ont des choses formidables à chanter. Dans mon répertoire, Raoul des Huguenots et Arnold de Guillaume Tell sont très difficiles à gérer à cause de la durée des œuvres. On doit constamment se dire : « Je dois chanter pendant quatre heures, alors du calme ». Le rôle le plus extrême que j’aie jamais chanté, c’était l’an dernier à Lisbonne, l’incroyable rôle-titre dans la recréation moderne d’Antigono d’Antonio Mazzoni. La tessiture allait du registre de basse profonde jusqu’à celui de contre-ténor, avec tout ce qu’il y a entre le ré grave et le contre-sol. Vous voyez, je suis un peu dingue.
Chanter à Paris, est-ce important pour un jeune chanteur américain aujourd’hui ?
Depuis que je suis enfant, je rêve de chanter à Paris, et c’est un véritable honneur pour moi de pouvoir chanter dans un théâtre aussi beau et aussi chargé d’histoire que l’Opéra-Comique. Je suis ravi d’avoir cette possibilité et je félicite les Parisiens pour l’intérêt qu’ils témoignent à l’art en général. J’ai hâte que le public voie notre spectacle et découvre cette œuvre magnifique qui a une telle importance historique. Je sais que ce sera une soirée d’opéra inoubliable pour le public parisien, avec une distribution de classe internationale.
Dans Billy Budd à Bilbao en 2009, vous interprétiez le rôle du novice complètement nu sur scène…
Je me souviens très bien de cette production. Etre nu ne me posait aucun problème, parce que cela avait un lien très clair avec l’intrigue. Pour ce personnage dans Billy Budd, cela faisait sens parce que, pour la première fois de sa vie, ce jeune homme est fouetté et roué de coup. La nudité reflétait la vulnérabilité totale que l’on ressent dans de telles circonstances. Honnêtement, ce n’était pas la première fois que j’étais nu en public, mais c’était la première fois sur scène !
Propos recueillis par Christophe Rizoud et traduits par Laurent Bury
* Lire l’article de Jean-Philippe Thiellay