Après avoir remporté haut la main le Concours Bellini ainsi que le Concours Opéralia de Placido Domingo, Pretty Yende a été nommée « artiste en résidence » à la Scala de Milan où elle fera le 30 juin ses débuts dans un premier grand rôle : Norina de Don Pasquale. Cinq questions à une personnalité résolument fulgurante.
Comment est née votre vocation ?
Je me souviens d’une soirée chez moi, en Afrique du Sud, mes parents et moi regardions la télévision et apparait une publicité pour une compagnie aérienne dans laquelle on entend un duo de Lakmé. J’étais fascinée. C’était la première fois que j’entendais ce genre de musique. J’avais 16 ans. Le lendemain, au lycée, j’en ai parlé à mon professeur de musique qui m’a expliqué qu’il s’agissait d’un opéra. « C’est ce que je veux faire » ai-je répondu. J’avais ressenti quelque chose de tellement puissant, un tel sentiment d’apaisement total, une telle joie… Il fallait que je la communique à d’autres. Ce professeur m’a prévenu que l’art lyrique était une discipline difficile, qui demandait beaucoup de travail et énormément de talent. Face à mon obstination, il m’a proposé de rejoindre la chorale de l’école. Après quelques semaines, il est venu vers moi et m’a dit « Je suis désolé Pretty, mais tu n’es pas chanteuse, tu n’as pas la voix qu’il faut. ». J’ai donc arrêté la chorale, sans abandonner pour autant l’idée d’être chanteuse. J’étais très têtue. Peu après, j’ai appris que notre école allait bénéficier de cours d’opéra, et que pour y entrer, il fallait chanter ce fameux duo de Lakmé. À mes yeux, il ne pouvait s’agir d’une coïncidence. Ce professeur a bien voulu m’aider à préparer le concours. Le jour J, j’étais tellement nerveuse que je tremblais comme une feuille, au point que la fermeture ma robe s’était déchirée. Je me souviens être entrée sur scène pleine d’épingles ! Finalement, je suis arrivée deuxième. Et depuis, le chant ne m’a pas quittée.
Vous avez-vous décidé de faire du bel canto romantique votre spécialité…
Pendant mes études en Afrique du Sud, nous étudiions des extraits d’opéras. Et lorsque j’ai entendu pour la première fois Lucia di Lammermoor, I Puritani et La Sonnambula, je me suis penchée sur ce type d’opéras. Le premier air que j’ai chanté interprété alors était « Qui la Voce sua soave » (I Puritani), et j’ai senti que mon chant était naturel. Je n’avais pas l’impression d’essayer ; c’était facile. Mais je me suis dit que ce répertoire n’était pas pour moi qui suis soprano lyrique, mais plutôt pour des voix de soprano léger ou colorature, qui sont naturellement plus agiles. Et je me suis remise à travailler mon Puccini. Lorsque je suis arrivée à l’Accademia de la Scala, Mirella Freni m’a dit : « Tu sais, c’est très bien que tu chantes ces grands rôles lyriques, mais tu as 25 ans, essaye-toi au bel canto, on ne sait jamais. Dans cette école, on peut t’apprendre. Avec une voix complexe comme la tienne, qui a une couleur particulière mais aussi une agilité remarquable, il faut que tu essayes ». Je suis donc revenue à mon intuition première, j’ai chanté Adina, Norina et je me suis sentie parfaitement à l’aise.
Vous avez participé à de nombreuses compétitions (Leyla Gencer, Montserrat Caballé, Hans Gabor Belvedere…), n’est-ce pas trop stressant ?
Je refuse de paniquer. On ne peut pas se laisser aller à la panique, parce qu’on risque de s’y perdre. Ce qui doit arriver arrivera, il faut accepter de ne pas avoir de pouvoir sur tout. Après mes études au Cap, je voulais savoir si mon travail, qui commençait à porter ses fruits en Afrique du Sud, était à la hauteur du niveau européen. Et les compétitions me permettaient de me présenter au monde de l’opéra et de n’avoir qu’un ticket à payer. C’est mon côté femme d’affaires ! Je présentais mon travail, « Je suis comme ça, qu’en pensez-vous ? », et aborder la chose sous cet angle m’ôtait toute pression puisque je n’envisageais pas le concours sous l’angle de la compétition. Par bonheur je n’ai pas arrêté de gagner ! Ensuite j’ai prêté davantage attention au jury de chaque concours. C’est ainsi que j’ai pu rencontrer Montserrat Caballé, Placido Domingo. Ils avaient une longue et brillante carrière derrière eux. J’ai réalisé que j’avais là l’opportunité de me rapprocher d’eux et de m’en inspirer.
Comment s’est passée cette rencontre avec Placido Domingo ?
C’est un homme incroyable et un musicien exceptionnel. Il a apporté un grand soutien à tous les chanteurs qui se présentaient au concours Operalia. Plus généralement, tous les artistes que j’ai eu la chance de rencontrer jusqu’à présent m’ont donné d’excellents conseils. je me souviens que Montserrat Caballé m’avait dit « Pretty, n’autorise personne – pas même toi – à te pousser à chanter des rôles que tu ne seras capable de chanter que plus tard ». On ne réalise pas toujours à quel point il est primordial d’être capable de bien choisir son répertoire en fonction de ses capacités à un moment donné. On a toujours tendance à nous proposer des grands rôles sous prétexte que notre voix convient. Mais il faut savoir dire non, parce que personne d’autre que nous ne peut nous dire si nous sommes en mesure de le faire, vocalement et techniquement.
N’avez-vous jamais rencontré d’échec ?
Si, bien sûr ! Enfin, tout dépend de ce qu’on entend par « échec ». J’ai grandi avec l’idée que dans la vie, on n’obtient pas toujours ce que l’on veut ou ce que l’on pense vouloir. Dans la vie on obtient toujours ce que l’on doit avoir au moment où on est censé l’avoir. Lorsque je passais des auditions et que plusieurs jours après je n’avais toujours pas de réponse, j’étais bien sûr blessée, je me demandais ce que j’avais mal fait, je me disais que j’étais meilleure que les autres candidats… Comme n’importe quel être humain ! Et puis avec le temps, je me suis rendu compte que je n’avais pas besoin de telle ou telle audition, mais que le chemin que j’avais suivi me convenait exactement.
Propos recueillis par Elise Haddad
Pretty Yende © DR