Quel contraste avec la production du Turco in Italia sans relief présentée deux jours auparavant sur la même scène du Teatro Rossini à Pesaro ! À croire que Davide Livermore a usé toute son inventivité dans ce Ciro in Babilonia créé dans ces lieux en 2012 (il s’agissait d’ailleurs de la création de l’œuvre au festival de Pesaro). L’éclatante réussite soulignée à l’époque par Christophe Rizoud est confirmée par cette reprise. La transposition de l’intrigue à la Belle-Epoque et dans l’univers des films muets fonctionne admirablement. Loin d’être plaquée, l’idée de départ est sans cesse renouvelée maintenant l’attention constante dans cette œuvre à l’inspiration parfois inégale (des coupes ont d’ailleurs été opérées dans les nombreux récitatifs), jusqu’au final cohérent, où l’enfant qui avait traversé l’écran pour rejoindre Ciro et la tendre Amira pendant l’ouverture, peut enfin retrouver sa mère, restée parmi les spectateurs. La réussite est également esthétique avec les superbes costumes mésopotamiens à la sauce hollywoodienne de Gianluca Falaschi ou les projections aux tons sépia et toujours fort à propos de D-WOK qui, loin de distraire le spectateur, lui permettent de s’immerger dans l’intrigue.
Antonino Siragusa (Baldassare), Ewa Podleś (Ciro) © Amati Bacciardi
La distribution est entièrement renouvelée par rapport à 2012, à l’exception notable du rôle-titre, chanté par Ewa Podleś. La contralto polonaise est acclamée après son air au premier acte puis après sa grande scène au deuxième acte, démontrant, s’il le fallait, que sa voix phénoménale fait encore de l’effet. Certes la vocalise est moins souple et le registre de poitrine fait aujourd’hui voix à part. Pourtant la chanteuse utilise intelligemment ses moyens à des fins expressives, crucifiant le pauvre Baldassare de ses graves sépulcraux, et connaît par cœur la grammaire rossinienne pour tirer tout le suc des airs virtuoses qui lui échoient.
Antonino Siragusa ne peut rivaliser avec le souvenir de Michael Spyres qui chantait Baldassare il y a quatre ans, en termes de beauté du timbre ou d’extension dans le grave. Il emporte pourtant l’adhésion par son incarnation très expressionniste du personnage de roi félon qui se marie à merveille au métal du timbre et à l’insolence de l’aigu. Pretty Yende a beaucoup de prestance sur scène, et fait valoir en Amira une voix pulpeuse et longue, au medium nourri et aux aigus aériens. La chanteuse fait par ailleurs preuve d’audace dans les variations sollicitant fortement le suraigu, quitte à frôler l’accident, gagnant en spectaculaire ce qu’elle perd en orthodoxie stylistique.
Face à ce trio de choc, les comprimarii font un peu grise mine. Alessandro Luciano (Arbace) semble sans cesse s’interroger sur sa nature vocale, entre ténor rossinien aux aigus claironnants et baryton aux graves sonores, laissant entre les deux un médium incertain. Les basses ne marquent pas les esprits, le court air de Danielo (Dimitri Pkhaladze) pourtant stupéfiant visuellement (avec un remake de la fameuse scène des Dix commandements) tombe vocalement un peu à plat. La fameuse aria sur une seule note échoit à Isabella Gaudi (Argene), qui ne parvient pas totalement à la sortir du pur exercice de style.
L’orchestre et le chœur du Teatro communale di Bologna très en forme (les couleurs des vents !) dirigés avec ardeur par Jader Bignamini font sauter les quelques réserves émises plus haut. Le Festival Rossini se conclut donc sur une réussite magistrale, au diapason d’une édition 2016 qui aura tenu toutes ses promesses. Rendez-vous l’an prochain pour un programme non moins excitant !