Le 5 février dernier, sur la scène du théâtre du Capitole, au lendemain de la dernière d’Orphée aux Enfers, Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse, a remis les insignes de Chevalier des Arts et Lettres à Claire Roserot de Melin, directrice générale de l’Etablissement public du Capitole, qui réunit l’Opéra National et l’orchestre national du Capitole. Arrivée dans la ville rose en 2019, Claire Roserot de Melin, hautboïste de formation, avait débuté sa carrière comme chargée de production aux Percussions Claviers de Lyon, comme administratrice de l’Ensemble Justiniana, puis elle a été durant dix années directrice de la coordination artistique à l’Opéra de Rouen Normandie. L’occasion de mieux connaître une fonction institutionnelle qui n’est pas sans lien avec la production artistique.
Une distinction artistique qui récompense une administratrice, cela doit avoir une saveur particulière ?
Oui, enfin une administratrice que je ne suis plus officiellement ! Avec le changement de statut de l’Opéra du Capitole, devenu Opéra National du Capitole le 1er janvier 2023, l’établissement public devait avoir une direction générale. Ma fonction d’administratrice a alors vraiment changé. Aujourd’hui, outre une part très importante de management général, je travaille davantage sur le stratégique et le lobby institutionnel : stabilité des financements, recherche de nouveaux financements, en un mot la sécurisation des moyens de la maison pour lui permettre de conserver son ambition et sa richesse artistique. L’objectif étant de ne plus compter uniquement sur Toulouse-Métropole mais de se tourner vers l’Etat et la Région ; mais aussi de travailler sur le mécénat qui auparavant était moins ouvert du fait de notre statut. En devenant un établissement public autonome sous la tutelle de Toulouse-Métropole, nous avons notre propre gouvernance, notre propre conseil d’administration.
Il y a de toute façon toujours chez moi la double entrée : administration et gestion d’un côté et l’artistique de l’autre.
Et depuis peu l’ouverture au mécénat individuel.
Oui nous avons lancé l’opération en avril 2024 ; le bilan de la première année est positif. Il nous a fallu bien expliquer l’opération en interne car il y a eu et c’est normal des interrogations sur la place du mécénat particulier. Les premiers retours sont excellents et nul doute que l’année II sera encore plus dynamique. Derrière tout cela il y a bien entendu une logique de fidélisation que nous voulons construire, s’appuyer sur l’attachement des spectateurs à « leur maison ».
Revenons-y, une distinction des Arts et Lettres à une fonction non artistique, c’est une saveur particulière, n’est-ce pas ?
Je crois que c’est toujours un moment très marquant dans une carrière ! En ce qui me concerne, je ne m’y attendais pas du tout. Un jour Christophe Ghristi [le directeur artistique] m’envoie (par sms !) une bouteille de Champagne ; je pensais qu’il avait reçu une récompense, une distinction, mais non c’était pour m’annoncer ma nomination ! Mais je ne suis pas la première à recevoir cette distinction dans ce type de fonction. Au-delà du geste d’amitié et de considération de Christophe, il y a la prise en compte de ceux qui font fonctionner les maisons et qui permettent au reste d’exister. Si on fait ce métier et qu’on tient dans la durée, c’est qu’on a vraiment choisi d’être à l’ombre et de porter les projets des autres. Sans ces personnes-là qu’on ne voit jamais, la boutique ne tournerait pas. Du reste ici nous avons une considération particulière pour les artistes ! Tout compte : cela commence par la personne à l’accueil, les personnels d’entretien ; c’est à tous les niveaux qu’on construit le bien-être des artistes. Donc cette distinction c’est une belle manière pour la nation de remercier ces personnes-là sans lesquelles rien ne se ferait.
La situation du Théâtre du Capitole est aujourd’hui très enviable et enviée. Toulouse est aujourd’hui la première place lyrique en région. On sent le soutien de la municipalité, de la Métropole. Est-ce qu’il y a une inquiétude pour la suite, notamment au regard des prochaines échéances électorales ?
A ce jour [5 février2025], nous ne savons pas quel sera le montant de notre subvention de la Métropole, de l’Etat et de la Région pour l’exercice 2025… Oui, je suis inquiète pour l’avenir, nous sommes dans une période charnière. Ce n’est pas une préoccupation de court terme, car notre maison a les reins assez solides pour absorber un éventuel coup dur ; en revanche l’érosion des finances publiques aujourd’hui est une réalité. Nous devons redoubler d’ingéniosité pour aller chercher de la ressource partout. Mais ce qui constitue une des forces de notre tandem avec Christophe Ghristi c’est que programmation et business model sont sans cesse imbriqués. Il n’y a pas un projet artistique qui ne soit interrogé sur sa faisabilité économique. C’est sans doute ce qui fait la force de Toulouse. Nous avons aussi beaucoup travaillé ces dernières années pour augmenter la part de la recette propre dans le budget.
Le cœur du réacteur ce sont les artistes permanents, la production lyrique, symphonique et chorégraphique mais il y a aussi tout ce qu’on fait en plus, les projets éducatifs, le travail sur les publics prioritaires, et nos missions : éveiller la société, éveiller les consciences, faire émerger des émotions. C’est notre cœur de mission, c’est ainsi que l’on construit le public de demain, et d’aujourd’hui. Si on ne le construit pas dès l’enfance, alors on laisse le déterminisme familial prendre le dessus. Aujourd’hui je considère qu’il y a une cassure complète de la société entre ceux qui peuvent, parce qu’ils ont le patrimoine individuel pour le transmettre à leurs enfants, et ceux qui ne l’ont pas. Aujourd’hui, les projets éducatifs et sociaux sont absolument essentiels pour le devenir de notre monde, et oui, je suis inquiète pour tout ce pan de notre activité.
La question de la durabilité, de la responsabilité des maisons d’opéras (cf la tribune de Sébastien Guèze) est plus que jamais d’actualité.
Cette question est essentielle. Et notre maison, avec 400 personnes dont 200 artistes permanents qui vivent et travaillent à Toulouse, est déjà par essence très vertueuse car la force de production est locale ! Pour autant, cela ne suffit pas. Nous avons choisi à Toulouse de travailler avec les équipes. Nous avons monté il y a deux ans une équipe-projet à l’interne qui s’appelle « Les Vertuoses », constituée d’une vingtaine de collaborateurs. Même si l’équipe de direction y est impliquée, cette démarche qui consiste à transformer nos pratiques du quotidien ne doit pas être descendante. En font partie des volontaires issus de tous les services de la maison (direction technique, les achats, les relations publiques etc.) qui se penchent sur des problématique spécifiques. Nous avons réalisé le bilan carbone de la Halle aux Grains, du Théâtre du Capitole. On étudie par exemple la mobilité des spectateurs, la mobilité des artistes (il y a beaucoup d’artistes français qui chantent ou jouent ici). Actuellement nous sommes dans le chantier passionnant de l’approvisionnement, du tri sélectif, de l’économie circulaire pour nos matériaux… Mais nous n’en faisons pas pour autant une dimension marketing : dit autrement, cela n’est pas le projet artistique de cet établissement.
Il y a une imbrication, on le sent, entre l’administratif et l’artistique. On ne peut pas faire ce métier sans aimer la musique.
La question ne se pose pas. Certes on n’est pas obligé d’avoir pratiqué la musique, mais il faut l’aimer, et il faut aimer les artistes, sinon ça ne fonctionne pas.
Alors quels sont les goûts artistiques de la directrice générale ?
D’abord je n’ai pas grandi avec l’opéra ; je l’ai découvert à 18 ans. Lorsque j’étais enfant la musique s’arrêtait à la mort de Mozart ! A la maison on ne franchissait pas le XIXe siècle ! On était plutôt sur la musique de la Renaissance… Il n’est donc pas étonnant que Mozart soit au sommet de mon panthéon, c’est très banal mais c’est terriblement vrai. Petit à petit je suis tombée amoureuse du bel canto. Dans la musique symphonique c’est aussi le début du XIXe, Schubert, Mendelssohn, Brahms…
L’avenir ?
Avec Christophe, nous faisons un travail d’équipe qui nous réjouit au quotidien ; tant que nous aurons cette envie, nous poursuivrons ! Tant que les élus nous feront confiance, nous poursuivrons ! Mais nous savons aussi que tout cela est fragile. Cela dit, à Toulouse il y a une chose très puissante : cette maison qui a trois siècles a toujours été soutenue, de façon indistincte, quelles que soient les couleurs politiques. Elle a son histoire dans cette ville qui est très particulière. Il y a un attachement des Toulousains à cette maison qui n’a jamais failli. J’ai envie de croire que cette histoire va perdurer. Elle ne peut pas faire autrement.