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Comment ne PAS être chef d’opéra (suite et fin)

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Actualité
30 décembre 2024
Suite et fin des réflexions de Fréderic Chaslin sur la direction lyrique : peut-on raisonnablement être un chef exclusivement symphonique ?

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La paresse dont je parlais plus tôt peut très souvent s’accompagner d’une affinité particulière pour l’une ou l’autre des deux facettes qui composent un chef, qu’il soit lyrique ou symphonique. Car outre le fait que l’on pose généralement l’éternelle question de la préférence entre les deux genres musicaux, (combien de fois m’a-t-on dit en interview « mais vous dirigez parfois du symphonique ? ») les plus sagaces s’informent parfois aussi de savoir laquelle des deux activités qui occupent le temps de travail du chef, à savoir le travail en répétition ou le concert, aura la préférence de celui-ci.

J’aime répondre par une métaphore sur le football : pendant les répétitions le chef est l’entraineur, il doit faire reprendre ses « joueurs », anticiper chaque action et chaque réaction. Pendant le concert, le chef est l’attaquant, celui qui motive et conduit ses camarades vers la victoire. Et il est flagrant que beaucoup préfèrent l’une au l’autre des deux facettes du métier : certains, qui sont de piètres entraineurs, se perdent en répétition, ne maîtrisent ni le temps ni la méthode, et la plupart du temps abrègent les séances de travail – au grand plaisir des musiciens ; pour autant, ces mauvais « répétiteurs » peuvent être de redoutables meneurs de troupes en concert, par l’instinct doublé du charisme. Inversément, un chef excellent « entraîneur » pourra être ennuyeux au pupitre. Pour revenir à Mahler, tous les témoignages s’accordent à dire qu’il était un volcan en éruption durant les répétitions, et d’un calme, d’un flegme absolu en concert. Au point qu’on lui reprochera à New York de diriger une 6e de Tchaïkovski avec une presque indifférence, les Américains raffolant des effets visuels.

Ce que je viens décrire vaut pour tous les chefs d’orchestre, à cette différence notable qu’au lyrique, les répétitions sont plus longues et plus nombreuses : lectures seules d’orchestre, répétitions « à l’italienne » (orchestre et chanteurs), scènes et orchestre (les mêmes, avec décors et costumes, en scène et en action), pré-générale, générale. Parfois dix à douze répétitions jusqu’à la première. Ici, l’entraineur a intérêt à être inspiré et motivant, sinon l’équipe s’ennuie vite et la pression baisse rapidement, dont on a pourtant besoin qu’elle augmente constamment jusqu’au jour J.

© DR

Enfin, qu’on le comprenne bien, s’il existe des chefs qui n’ont jamais dirigé d’opéra, qui n’en n’ont pas la formation, les compétences, mais qui dirigent fort bien du symphonique, la réciproque n’existe pas. Il n’y a aucun chef lyrique à ma connaissance qui n’ait jamais dirigé un concert symphonique. Tout comme il n’existe pas d’organiste qui n’ait un piano chez lui pour s’entrainer. La plupart se laissent happer  – facilité ou gôut personnel – par le lyrique et ne font que quelques incursions dans des mondes parallèles, par exemple celui de l’oratorio. Ce genre est d’ailleurs le seul qu’abordent les quelques chefs exclusivement symphoniques, et je reprends une fois encore l’exemple de Celibidache, qui dirigeait volontiers un Requiem de Fauré ou de Mozart… L’oratorio offre un bon compromis entre le travail avec des chanteurs, sans les contraintes parfois irréductibles de ce que le grand chef roumain appelait les « paramètres incontrôlables ».

La direction d’opéra doit être acquise le plus tôt possible, en raison des nombreux éléments qui composent l’art lyrique. Commencer à diriger de l’opéra sur le tard  – ou même, étant moi-même compositeur et prêchant pour ma paroisse, écrire un opéra sur le tard, pour mettre une cerise sur le gâteau, c’est partir pour un lointain pays exotique sans guide ni carte, et c’est parfois devoir rentrer en urgence par rapatriement sanitaire. Ce qui est arrivé tout récemment près de chez nous à l’un des plus grands chefs symphoniques de la génération intermédiaire, et qu’on avait nommé dans une très grande maison, pour le voir démissionner presque aussitôt. Les raisons invoquées officiellement ne font pas illusion : si elles étaient vraies, elles l’étaient aussi au moment de l’offre qu’il était facile de refuser.

Karajan disait qu’on commence à connaitre son métier vers 40 ans. Cela est particulièrement vrai pour l’opéra.

Mais, je peux le dire pour en avoir amplement profité, le « jeunisme » éternel – le petit Mozart et ses tournées d’enfant prodige était déjà propulsé par ce phénomène –  bénéficie aux tout jeunes chefs à peine sortis du moule, sans répertoire, sans expérience particulière mais avec une audace, une énergie et un charisme qui font « le reste ». Dans le répertoire symphonique, s’entend… Je me rappelle les propositions farfelues qu’on me faisait entre 23 et 28 ans, parce que j’avais été l’assistant de deux immenses chefs, les orchestres américains, allemands, dont on me proposait la direction musicale. Mais je voulais faire de l’Opéra. Et donc il me fallait apprendre. Mes modèles étaient Mahler, Karajan, Strauss, Bernstein à cause surtout de la composition et du piano, mais je savais qu’il me restait une foule de choses à apprendre, que je pouvais éventuellement « épater la galerie » en dirigeant un Sacre ou un Barbe-Bleue – ce que je fis très tôt et avec un grand succès, mais j’étais conscient de n’avoir aucune préparation pour une Traviata ou un Don Carlo.  Et pour moi, être Chef avec un grand C, c’était pourvoir diriger mes symphonies préférées avec l’indispensable outillage du chef lyrique.

Don Carlo mis en scène par Claus Guth et dirigé par Frédéric Chaslin à Riga © Kristaps Kalns, Latvian National Opera

Il y a donc eu, comme je l’ai dit au début, quelques remarquables exceptions de chefs exclusivement symphoniques. Mais comme l’on dit que l’exception justifie la règle, sagesse populaire s’il en est, on pourra considérer que l’absence de la fréquentation de l’art lyrique est un appauvrissement, au même titre que, pour un pianiste, l’absence de la pratique de la musique de chambre ou du récital de mélodie. On n’est, en fait, jamais assez riche de culture pour être chef d’orchestre car on ne prouve rien, lorsqu’on monte sur le podium. C’est seulement aux premiers gestes, aux premières paroles, aux premiers échanges d’idées que l’orchestre saura s’il a à faire à un musicien plus ou moins éduqué, inspirant, et capable de faire la seule chose que l’on demande à un chef d’orchestre : obtenir de ses musiciens qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes.

C’est pourquoi j’observe avec beaucoup de curiosité la nouvelle génération montante, qui crève les plafonds de la renommée avec une vitesse fulgurante, atteignant les sommets des Himalaya du monde symphonique à un âge où je me demande parfois ce qu’ils peuvent encore avoir à conquérir, mais dont je vois bien qu’il reste pour eux immensément à apprendre s’ils veulent mettre un pied, voire les deux, dans le monde de l’art lyrique.

Je leur souhaite donc d’ouvrir les rideaux du théâtre, même si leur jeune âge est déjà bien avancé pour faire les premiers pas sur la scène des opéras où l’on commence à s’initier vers les quinze ans – on est toujours le vieux de quelqu’un –  tant est gigantesque la somme de connaissances, de musique et d’expérience à acquérir.

Au moins auront-ils l’occasion d’occuper le temps qui ne va pas leur manquer, à la façon de celui qui, ayant conquis l’Everest à sa première cordée, regarde avec mélancholie la Lune, se demandant quel vaisseau va bien pouvoir l’aider à y atteindre. Car pour lui, la Terre est devenue trop petite et l’espace est désormais le must du Musk….

Frédéric Chaslin
@Unistage & @Universal Edition, Vienne, 2024

 Frédéric Chaslin, Compositeur, Chef d’Orchestre et Pianiste, édité chez Universal Music, Vienne, a composé sept opéras, écrit un essai sur la musique « La Musique dans tous les sens », (France-Empire, Paris 2009) et un roman, « On achève bien Mahler » (Fayard, Paris 2017)

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