Chaque année, le Concert des révélations classiques de l’Adami (Société civile pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes) revient au Bouffes du Nord à l’approche du printemps, respectant une formule désormais bien établie. Quatre chanteurs et quatre instrumentistes sont ainsi réunis, l’espace de deux heures, en alternant rigoureusement airs d’opéra et musique de chambre, peut-être pour éviter que la musique de chambre n’ait le temps d’ennuyer les spectateurs plus attachés à la musique vocale, et vice versa. Et pour offrir mieux qu’un défilé d’artistes plantés devant le piano ou derrière leur pupitre, ledit concert bénéficie d’une véritable mise en espace (on se dit à plusieurs reprises que les conseils avisésde François Dunoyer ont dû aider les chanteurs à incarner, si brèvement que ce soit, leur personnage le temps d’un air), et d’éclairages variés signés Bertrand Couderc, transformant à chaque morceau le théâtre en un lieu différent.
Suite à un remaniement de l’ordre initialement prévu, le concert s’est ouvert sur le hautbois solo de Philibert Perrine dans deux extraits des rares Métamorphoses d’après Ovide de Britten. En cette année de centenaire, Debussy a eu droit à un bel hommage quand le pianiste Jonathan Fournel a interprété la douzième de ses Etudes. Faute de pouvoir porter un jugement compétent sur les quatre instrumentistes, on saluera l’assurance avec laquelle ils ont enchaîné les airs tantôt virtuoses (le Concerstück d’Enesco par l’altiste Adrien Boisseau, par exemple), tantôt laissant davantage de place à l’émotion (la célèbre Elégie de Fauré par la violoncelliste Justine Metral).
Peut-être plus encore que par leurs tessitures, les quatre chanteurs réunis pour l’occasion diffèrent entre eux par leur aptitude à choisir des pages les mettant vraiment en valeur. Sur ce plan, la grande triomphatrice de la soirée est incontestablement Eléonore Pancrazi. La mezzo a déjà un solide début de carrière derrière elle, avec notamment sa participation au Barbier de Séville au Théâtre des Champs-Elysées à l’automne dernier : elle n’y était que Berta, mais nous prouve qu’elle aurait amplement pu être Rosine, compte tenu de sa maîtrise de la virtuosité rossinienne, également démontrée par son interprétation du rondo final de Cenerentola. Et l’on salue bien bas l’originalité de son tout premier choix, l’air de Diane dans Les Aventures du roi Pausole, qui met à la fois en valeur les extrèmes de sa voix et son grand talent d’actrice, indispensable dans ce répertoire.
Les diverses prestations de Marianne Croux, au CNSM ou dans le cadre de l’Académie de l’Opéra de Paris, ont été saluées avec enthousiasme, mais il faut attendre la fin du concert pour l’entendre dans un répertoire où elle s’épanouit vraiment. Micaela est trop passive, trop naïve pour cette voix vibrante ; même le personnage d’Ilia paraît un peu trop angélique pour elle. C’est en Adina, en meneuse de jeu que la soprano trouve un rôle à la mesure de ses moyens, impression confirmée par les quelques phrases de Violetta qu’elle chantera dans l’air final réunissant tous les artistes.
En Mylio ou en Belmonte (rôle qu’il interprétait récemment à Clermont-Ferrand), Blaise Rantoanina est bien loin de démériter, mais à lui aussi, c’est le bel canto qui convient le mieux : totalement à l’aise dans la vocalisation rapide d’un Almaviva, il convainc aussi en Nemorino. Quant à Benjamin Mayenobe, souvent vu à l’Opéra de Rouen, le choix de l’air de Ford semble à la fois bien ambitieux (baryton Verdi, cela exige de la bouteille) et un peu difficile à faire « passer » quand les spectateurs n’ont pas la possibilité d’en suivre le texte. On le préfère infiniment en Mercutio plein de faconde, et ses interventions dans le trio du Barbier de Séville sont un régal grâce à une vis comica qui passe notamment par l’expressivité hors du commun de ses sourcils.
On espère maintenant que tous ces jeunes talents trouveront à s’employer comme il convient et que des choix judicieux leur permettront une longue et belle carrière.