Un mois après sa mort, plusieurs de ses amis musiciens s’étaient réunis autour de l’Orchestre de chambre de Paris ce mardi 4 octobre à la Philharmonie de Paris pour rendre hommage à Lars Vogt, le pianiste et chef disparu le 5 septembre dernier des suites d’un cancer du foie.
Daniel Harding dirigeait l’Orchestre dont Lars Vogt avait pris la direction musicale en 2020, des complices de toujours comme le violoniste Christian Tetzlaff ou le violoncelliste Alban Gerhardt, le pianiste anglais Paul Lewis, et peut-être et surtout le ténor Ian Bostridge, avec qui Lars Vogt avait enregistré il y a quelques mois un Schwanengesang bouleversant.
Un programme sobre, ni funèbre, ni compassé, qui donnait à entendre les passions du musicien disparu.
En ouverture la Musique funèbre maçonnique de Mozart, où rayonnent les vents de l’orchestre, l’illumination de l’accord final en majeur qui vient clore cet absolu chef-d’oeuvre.
Mahler et Bostridge
Puis la haute et mince silhouette juvénile de Ian Bostridge s’avance aux côtés du chef pour chanter les belles trompettes – « Wo die schönen Trompeten blasen » – du Des Knaben Wunderhorn de Mahler. Le temps de s’adapter au timbre et à la diction si particuliers de Bostridge (jamais la parenté vocale et stylistique avec Peter Pears ne nous a semblé si évidente !), on est saisi par la simplicité, l’absence d’effets de l’interprète dans l’une des mélodies les plus intensément nostalgiques du cycle mahlérien. Chacun pense à l’ami disparu et retient ses larmes.
Christian Tetzlaff succède au ténor anglais (il le retrouvera dans la seconde partie) pour la jolie Romance bohémienne de Dvorak. L’ami et partenaire de toujours de Lars Vogt nous la fait prendre pour un chef-d’oeuvre.
L’Orchestre de chambre de Paris et Daniel Harding concluent cette première partie d’hommage – qui s’est ouverte par quelques mots émouvants, comme prémonitoires, prononcés par Lars Vogt au micro de Jean-Baptiste Urbain dans la Matinale de France Musique à l’automne 2021 – par le 3e mouvement – Adagio espressivo – de la deuxième symphonie de Schumann.
© Orchestre de chambre de Paris
La seconde partie commence dans Le silence de la forêt, brève et magnifique élégie concertante de Dvorak, murmurée, chantée par le violoncelle de l’ami Alban Gerhardt.
Mon coeur chargé de tristesse
Reviennent alors ensemble et en duo Christian Tetzlaff et Ian Bostridge pour quelques savoureuses mélodies de Ralph Vaughan Williams, dont presque tout le monde en France ignore le 150e anniversaire de la naissance (le compositeur britannique est né le 12 octobre 1872 à Down Ampney et mort le 26 août 1958 à Londres). Quatre mélodies extraites d’un cycle Along the Field (1927) sur des textes d’Alfred Edward Housman (1859-1936) d’inspiration populaire, qu’amplifie le dialogue inhabituel entre le violon et la voix. Regrets, tristesse, mais aussi joie de vivre, fantaisie, liberté : les quatre mélodies choisies par Ian Bostridge et Christian Tetzlaff expriment à leur manière l’image que nous voulons garder ce soir du pianiste et chef disparu.
Le huitième poème du cycle, le dernier des quatre chantés ce soir par le duo – With rue my heart is laden – dit notre tristesse :
Mon coeur est chargé de tristesse
Pour les bons amis que j’avais
Jeunes filles aux lèvres roses
Et garçons aux pieds légers
Près de ruisseaux que l’on ne peut franchir
Les garçons aux pieds légers reposent
Les filles aux lèvres roses dorment
Dans les champs où les roses se fanent.
On installe le piano pour que Paul Lewis puisse jouer le mouvement lent du 1er concerto de Brahms. Puis – sans doute le sommet émotionnel de la soirée – Ian Bostridge, avec Daniel Harding et les musiciens de l’orchestre de chambre de Paris, va tirer des larmes du public nombreux de la Philharmonie, avec cette si simple mélodie de Schubert, parée d’un tissu orchestral d’une infinie douceur par Max Reger : Nacht und Träume.
Le concert s’achève par l’espérance que Schumann fait lever dans le finale solaire de sa 2e symphonie.
L’intégralité de la soirée est réécoutable sur Francemusique.fr et visible sur ARTE Concert.
Il y a quelques jours est paru – nous l’annoncions ici – le dernier disque de Lars Vogt. Avec Ian Bostridge. Nous y reviendrons.