Après quatre mois d’abstinence, combien l’attendions-nous ce moment de fouler les marches du grand escalier du Palais Garnier. A l’approche de la fin de saison, la grande boutique, comme la surnommait Verdi s’est enfin réveillée pour deux soirées, celle du 13 juillet venant compléter la représentation traditionnellement offerte le 14 et dont bénéficieront quelques membres du personnel soignant. Le concert est introduit par Stéphane Lissner. Au premier rang du balcon, Roselyne Bachelot : cela faisait bien longtemps que l’on n’avait pas vu un Ministre de la Culture à l’Opéra de Paris !
Les fanfares de La Péri de Paul Dukas ouvrent le programme (La Péri-tif, en quelque sorte), musique de ballet qui n’avait pas été donnée sur la scène nationale depuis 1977. Son exécution est immédiatement suivie de la Feierlicher Einzug der Ritter des Johanniter-Ordens de Richard Strauss, oeuvrette pour cuivres et tympan, aux accents wagnériens, écrite en 1909, sans doute pour se distraire de la composition d’Elektra. C’est ce qui s’appelle un début en fanfare, mais de celles qui accompagnent les enterrements. Tout estimables qu’elles soient, ces deux compositions sont en effet assez sinistres.
Une fois les instrumentistes partis, on reste dans l’ambiance avec deux oeuvres chorales : un Madrigal de Gabriel Fauré et le Calme des nuits de Camille Saint-Saëns, interprétés par douze membres des choeurs et un pianiste, un effectif insuffisant pour remplir la salle et un texte dont on ne comprend pas un mot. S’il faut remercier ces artistes d’avoir participé au concert plutôt que de prolonger leurs vacances, force est de constater que grêves et confinement ont laissé des traces, avec une formation qui a du mal à chanter juste.
Vient enfin le temps de l’opéra : ça tombe bien, c’était écrit sur la façade. Après une ouverture des Nozze di Figaro où l’on sent également un peu les effets du repos forcé dans certains pupitres et un manque d’homogénéité globale, Stéphane Degout interprète un magnifique « Hai gia vinta la causa ». Tout est là : legato, style, caractérisation, intelligence du texte et beauté du chant. Pour la première fois de la soirée, des acclamations vigoureuses retentissent. A la suite, Julie Fuchs nous offre « Deh non vieni tardar » : curieux choix ; l’air, qui prend son sens dans l’opéra, parait un peu insipide en pièce de concert. Le timbre est agréable, la chanteuse fine musicienne, mais on aurait préféré, pour rester dans le répertoire du soprano, un vigoureux « Salut à la France ! » plus en situation. Les deux artistes se rejoignent pour le duo « Crudel ! Perche finora », finement joué sur le plan théâtral, et où l’on peut apprécier toute la différence entre une jeune chanteuse qui montre ses émotions par les mimiques de son visage, et un artiste confirmé qui les exprime également par son chant.
Cette soirée principalement mozartienne se termine par la Symphonie n°41, avec un orchestre plus concentré. Mais Philippe Jordan n’a jamais été un grand chef mozartien : sa direction offre une superbe lisibilité orchestrale, avec de temps à autres des effets inédits, mais l’ensemble manque de pulsation, de vision d’ensemble. Le second mouvement, andante cantabile, est d’une rare pesanteur et des yeux se ferment dans le public. Enfin, la direction de Jordan est résolument tournée vers les grands anciens, comme si les interprétations de chefs spécialisés dans le baroque n’avaient rien amené à la compréhension du style mozartien. Mais bon : on était content d’être là.
© E. Bauer / Opéra national de Paris
Un mot sur les conditions pratiques de cette reprise. Disons tout de suite que le respect des règles de confinement nous a laissé perplexe. Pas de problème dans les loges, où seuls les premiers rangs sont occupés (une ou deux places suivant qu’on est venu ou pas en couple). A l’orchestre, les couples ou spectateurs individuels sont séparés par un fauteuil. Celui qui rejoint sa place en milieu de rangée doit inévitablement se frotter sur ceux qui se lèvent pour le laisser passer. Une fois assis, le placement n’étant pas en quinconce, votre visage est à 40 cm du cou de votre voisin de devant. Heureusement pour lui, vous portez un masque (le personnel vous a d’ailleurs demandé de le garder pendant tout le spectacle, et vous êtes un bon citoyen). Mais qu’en est-il de votre voisin de derrière ? Bingo : lui l’a retiré et est prêt à vous envoyer sans remords ses éventuels miasmes. A la fin du spectacle, le personnel demande au public de rester à sa place afin d’organiser une sortie rang par rang sans bousculade. C’est peine perdue : après un semblant d’hésitation, les spectateurs se bousculent vers les sorties. Avec une telle discipline, le déconfinement des salles de spectacles n’est pas gagné.