Quand Anja Harteros est programmée, attendue et que finalement elle est bien là, on est presque surpris de son apparition, simple et souriante. L’illustre soprano a beau avoir ralenti, ces derniers temps, le rythme frénétique de ses annulations, sa présence effective figure encore au rayon des bonnes nouvelles, et provoque le genre d’étonnement rassuré que l’on peut ressentir quand, nous étant préparé à un voyage plein de péril, nous sommes content d’avoir atteint notre destination sans la moindre égratignure.
Et c’est sans la moindre égratignure, justement, qu’Anja Harteros traverse les Wesendonck Lieder composés par Richard Wagner entre 1857 et 1858. La lenteur des tempi adoptés par Valery Gergiev aurait mis en péril la ligne vocale et le souffle de beaucoup de ses consœurs ; ici, elle autorise une sorte d’alanguissement nostalgique qui parcourt les cinq chants et fait de « Im Treibhaus » le cœur, pas seulement chronologique, mais expressif de l’œuvre. Tout baigne ainsi dans la lumière diaphane d’un timbre dont on ne se lasse pas d’admirer la clarté, que tamise toujours la menaçante sombreur des graves. Et qu’importe, alors, que les nuances soient parcimonieuses, les contrastes évités, les angles fondus pour les besoins de ce magistral moment de chant, dont seules les dernières secondes, bizarrement affectées (« Un dann sinken in die Gruft ») viennent atténuer la parfaite harmonie : ces Wesendonck Lieder doivent s’admirer comme les courbes d’un marbre antique.
Ils frappent d’autant plus qu’ils succèdent à un Francesca da Rimini très tranché précisément, partition de Tchaïkovski marquée par la lecture de Dante et la contemplation de Gustave Doré, dans laquelle le Philharmonique de Munich jette d’entrée de jeu toute sa rage et son effroi, puis se mue dans la narration de la passion amoureuse, guidé par une magnifique clarinette solo. Une versatilité qui n’a rien d’artificiel, tant Valery Gergiev sait obtenir de ses musiciens (de Saint-Pétersbourg, de Munich, de partout) cette plasticité si caractéristique qui autorise toutes les nuances.
Irremplaçables qualités, on le devine, pour une pièce comme Une vie de héros, où Strauss clôt, en 1899, une grosse décennie consacrée au poème symphonique, et amalgame, en les citant le plus souvent, les influences et les atmosphères qui ont marqué l’écriture d’Aus Italien, Don Juan, Mort et Transfiguration, Macbeth, Till l’Espiègle, Ainsi Parlait Zarathoustra et Don Quichotte. Du triomphalisme apollinien de la première séquence aux grincements sardoniques des « critiques », de la résolution de la « bataille » jusqu’à la retraite philosophique du final, le Philharmonique de Munich déploie une gamme immense de rythmes et de couleurs, porté par des solistes toujours impressionnants (ici, le violon solo de Lorenz Nasturica Herscovici, là les cors…). Et Gergiev galvanise son monde, assure la fluidité des transitions, exige et obtient des phrasés d’une incroyable liberté, pour nous prouver que ses musiciens, dans ce répertoire, échangent bien dans leur langue natale.