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Concerts de Midi, ton univers impitoyable

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Humeur
10 décembre 2008

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À travers le monde occidental, de généreux organisateurs de concerts, souvent pauvrement dotés par un ministère de la culture frappé de coqueluche dès qu’il s’agit de mettre la main au portefeuille, s’échinent à entretenir le troisième âge. Ils proposent, pour ce faire, une formule de concert éclair, léger et accessible, à l’heure du journal de David Pujadas. Forum Opéra enquête dans le monde impitoyable des Concerts de Midi.
 

Durbuy, Belgique. Petite ville wallonne de moins de 11.000 habitants pour une superficie totale de 156,61 km carrés. Madame Vande Kasteel, 71 ans, organise depuis bientôt quarante ans les “Midis musicaux pour le lutrin et la clé de sol” en l’église Pierre et Jean. Pour elle, clairement, la crise des sub-prime a eu un impact direct sur la fréquentation de ses concerts et sur le financement de sa série. “Il y a encore cinq ans, l’église était remplie, le vieillissement de la population, la baisse du pouvoir d’achat et la difficulté croissante à programmer des noms connu ont eu raison du succès des Midis”. Il est clair qu’à Durbuy, la pyramide démographique parle d’elle même, la très vieille population est grandissante, les gens ne sont plus capables de se déplacer. “Parmi nos fidèles, au moins sept ont des problèmes de hanche, ils restent chez eux et regardent la télé”, déplore Madame Vande Kasteel.
 

Le modèle économique de ce genre de concert repose sur une alchimie délicate; douze événements sont programmés par an, dont une spéciale “Noël”, assortie d’une rencontre avec les artistes, d’une soirée “dégustation de produits du terroir” et d’un bal dansant animé par des célébrités locales. Cela représente un budget de 17.000 euros qui n’est malheureusement plus garanti par les autorités régionales. Madame Vande Kasteel explique, amère : “La province de Luxembourg nous donnait à l’époque 9.000 euros, somme qui a cessé d’être indexée il y a deux ans, le reste reposait sur le ticketing et sur la tombola du Carnaval de Durbuy, organisée par nos bénévoles”.
 

En ce 7 décembre, le baryton français Michel Trempette s’est déplacé pour donner un récital de mélodie française. Madame Vande Kasteel est un peu inquiète car si Michel Trempette est un nom, la mélodie française a toujours effrayé son public. “En 1971 nous avons eu un récital de Jules Bastain, c’était magnifique, les gens présents étaient fous, mais l’église était clairsemée. Je sais que Jules avait été fort blessé, très fort blessé”. Effectivement, nous avons pu constater que le nom de Michel Trempette n’aura pas suffi à remplir la salle, comme le craignait la dynamique organisatrice, mais que le public, enthousiaste, ne manqua pas de battre des mains quand le baryton lyonnais entama, en bis, le célèbre “Funiculi Funicula”. En coulisse, Michel Trempette, tout sourire, signe des autographes pour ses fans, venues nombreuses. Il admet volontiers qu’il a accepté de se produire pour environ le tiers de son cachet mais que “comme on lui a donné un panier garni, ça va”.
 

L’âge moyen de l’habitant de Durbuy est de 40 ans, le taux de chaumage y est de 15,45 % et le revenu annuel moyen y est de 10.981 € par habitant. Ces chiffres dépriment un peu Madame Vande Kasteel qui a courageusement décidé, l’année dernière, d’abaisser le prix de la place de 5 à 4 euros, avec une bière offerte à l’entracte. “Cela n’a pas vraiment eu d’impact”, regrette-t-elle. Pour Madame Vande Kasteel, c’est l’investissement d’une vie, ce sont des heures de travail bénévole, entre l’installation des chaises, le nettoyage de l’église, la négociation des cachets avec des artistes parfois beaucoup plus âpres aux gains que Michel Trempette.
 

Giselle B. est elle aussi bénévole aux “Midis musicaux pour le lutrin et la clé de sol” et ce ne sont pas ses 87 printemps qui la découragent, ni la désertion des salles, ni le trépas de la plupart de ses collègues, tombées au combat. Ce qui déprime Giselle, c’est la programmation de Madame Vande Kasteel, qu’elle juge trop élitiste et à laquelle elle impute la décrépitude de ce beau projet. Voilà bientôt douze ans que Giselle déchire des tickets, quelle que soit la météo, “même en hiver quand les souris font du patinage sur le bénitier”, sourit-elle, de sa belle bouche lacunaire. Selon Giselle, le projet artistique de sa rivale a vécu. “Dans les années 70, on pouvait se permettre d’être avant gardiste, de programmer du Debussy et du Poulenc, l’époque était à la controverse, avec la guerre du Vietnam et tout ça. Aujourd’hui il faut donner du bonheur aux gens et programmer de la musique qui leur plaît d’emblée”. Attention, Giselle n’en appelle pas à la programmation sauvage de chansonniers ou d’artistes populaires, non : “Pour moi, Mozart n’a jamais fait fuir personne, et pourquoi n’entend-on pas de beaux airs italiens chantés par des ténors” ?
 

Et le public de Durbuy qu’en pense-t-il ? En ce 7 décembre, nous n’avons trouvé qu’un témoin, les autres quittent la salle d’un pas pressé, pris par le froid. Il s’agit de Monsieur Jean, chanoine honoraire de l’église, qui a lui-aussi, un temps, été bénévole. Aujourd’hui, nous rappelle-t-il, il ne vient qu’en simple amateur, même si l’enthousiasme n’y est plus. “Pour être tout à fait franc, la qualité des programmes télé est une rude concurrence”, maugrée-t-il dans sa barbe patriarcale.
 

Madame Vande Kasteel, elle, y croit toujours et parcourt la salle vide de ses grands yeux bleus. Au sol, trainent quelques programmes sur lesquels sont imprimés en quadrichromie la photo promotionnelle de Michel Trempette, en chemise. Le vent du nord les soulève un instant quand les ouvriers ouvrent les portes de la paroisse pour démonter la scène et Madame Vande Kasteel, mélancolique, ne peut s’empêcher de les suivre des yeux jusqu’à ce qu’ils terminent leur course sous le confessionnal, puis –souriante-, conclut “le mois prochain, une nouvelle aventure commence”.
 

Hélène Mante

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