Si le dépouillement est la voie de la sagesse, alors Jean-Paul Scarpitta, à l’issue d’un mandat mouvementé à la tête de l’Opéra de Montpellier, a trouvé le droit chemin. Le Cosi Fan Tutte qu’il propose jusqu’au 9 janvier est nu, d’une nudité expérimentale, propice à l’examen clinique des sentiments. Sur un plateau vide et bleu – comme un « rêve nocturne » suggère le programme –, les corps se posent, se détachent puis, à l’épreuve des émotions, prennent chair. A chacun sa couleur, noir pour Don Alfonso, Vert amande pour Fiordiligi, jaune pour Dorabella, orange pour Despina, argent pour les garçons curieusement indifférenciés comme si, dans l’expérience proposée par Mozart et Da Ponte, ils n’étaient que réactants. Les costumes, d’un XVIIIe stylisé, veulent l’action intemporelle. Si leur fonction demeure essentielle dans une intrigue basée sur le travestissement, ils s’avèrent à l’usage nuire plus que participer à l’esthétisme de l’ensemble. En l’absence de structure décorative et avec un nombre limité d’accessoires – quelques chaises, un banc -, ce théâtre est d’abord celui du mouvement. La force de l’approche réside dans le travail sur le geste qui, sculpté par les lumières de Urs Schönebaum, révèle autant qu’il raconte. Sa faiblesse ? La difficulté à renouveler un propos qui, au deuxième acte, tend à s’essouffler. Le choix de la version intégrale de la partition, si elle nous vaut l’écoute de pages trop souvent omises, porte la durée du spectacle à quatre heures, entracte compris. C’est long, pour les spectateurs. C’est long pour l’orchestre. « Per Pietá », véritable concerto pour voix et cor, est impitoyable et la direction d’Alexander Shelley, si éloquente soit-elle, connait quelques décalages et baisses de régime. C’est long aussi pour les chanteurs. Wesley Rogers, ténor lumineux dont Mozart est aujourd’hui à juste titre le répertoire d’élection, montre en deuxième partie d’évidents signes de fatigue. Ferrando n’est ni Tamino, ni Don Ottavio mais beaucoup des deux et encore davantage. Fallait-il dans ces conditions conserver le redoutable « Ah, lo veggio : quell’anima bella » souvent écarté en raison de sa difficulté ? Rossinien avant l’heure, l’air avec ses treize si bémol aigus s’avère pour le moment hors de portée. Le chanteur épuise ses jeunes forces à s’acquitter de l’épreuve. Les duretés qui ébrèchent trois numéros après « Tradito, schernito », en sont l’inévitable conséquence.
Autre pente ardue de la vocalité mozartienne, Fiordiligi ne peut totalement se satisfaire du soprano d’Erika Grimaldi. L’artiste n’est pas en cause, intensément lyrique, rayonnante, déjà Mimi, bientôt Micaëla mais le rôle est difficile avec une écriture plus grave qu’il n’y parait. Le chant surmonte beaucoup, qu’il s’agisse de technique – les impossibles sauts d’octave placés là par Mozart comme des chausse-trappes – ou d’expression – les états d’âme changeants d’un cœur sincère. Mais Erika Grimaldi n’est-elle pas encore jeune pour relever pareil défi ?
La jeunesse, à l’inverse, est la force de Marianne Crebassa et d’Andrè Schuen, Dorabella plus que parfaite, Guglielmo idéal tant par le chant que par la silhouette, tous les deux libres car libérés, véridiques car vrais, séduisants, élégants, stylés car doués de ce legato essentiel à Mozart, l’un et l’autre promis à des lendemains qui chantent encore plus.
Passons vite sur le Don Alfonso d’Antonio Abete. Bien qu’aucune annonce avant le lever de rideau n’ait fait état d’indisposition vocale, nous espérons son prompt rétablissement. Regrettons que Despina soit chantée une fois de plus par un soprano léger – Virginie Pochon – quand le rôle gagne, selon nous, à être confié à des voix plus corsées. Pour autant, la servante ici n’est pas soubrette. Le timbre n’a rien d’acide ou de pointu, le ton est vif, le portrait piquant.
Il est pour conclure un point à souligner dans un opéra comme Cosi où les ensembles priment sur les airs : c’est la manière accomplie dont chacune des voix réunies ici s’unissent tant par la couleur que le volume. Cette impression de cohésion, cette harmonie indispensable à l’ouvrage, rejaillissent sur un spectacle dont la grâce dépouillée l’emporte finalement sur la longueur.
Autres représentations : 27, 29 décembre, 7 et 9 janvier (plus d’informations)