Depuis la première vague de la pandémie et le premier confinement en mars, un pan immense de ce qui constitue l’essence de notre humanité s’est retrouvé dévasté, sacrifié, oublié. Il s’agit de la Culture. Un mot qu’il faut visiblement réintégrer aux discours politiques. « La culture est l’âme de la démocratie », disait Lionel Jospin le 19 juin 1997.
Six mois d’oubli, au cours desquels sont nées des adaptations arrachées au prix de combats acharnés. Le milieu artistique, celui du spectacle comme celui des commerces dits « non essentiels », a tout fait pour s’adapter : demies-jauges, gestes barrières, distanciation etc. Cette adaptation a payé car, comme l’a souligné très justement en France la Ministre de la Culture Roselyne Bachelot, « aucun lieu de spectacle qui a rouvert n’est devenu un lieu de contamination. » Pourtant, après des mois d’efforts, nous voilà de nouveau exactement au même point.
Chacun a conscience que cette pandémie est lourde à gérer, mais, malgré l’annonce dramatique d’une nouvelle fermeture des lieux culturels en France et en Belgique, il est inadmissible de ne pas trouver dès maintenant des issues, une faisabilité. Les intelligences des artistes et des acteurs de la vie culturelle doivent être entendues par les politiques pour l’imagination de ce monde présent et futur. Il faut impérativement œuvrer pour une redéfinition et une reconstruction de ce mot et de l’univers qu’il porte.
Sur le plan étymologique, le mot culture nous vient du latin cultus : habiter, cultiver, honorer. En découle l’ensemble des aspects intellectuels propres à une nation, une civilisation. Mais, bien plus que cela, le « bagage » à honorer vise l’universalité par le développement de la valeur sociale de l’homme : la culture nous faisant persévérer dans notre être, elle est ce qui nous ouvre à l’autre.
Il est actuellement question des catégories dites essentielles (« les commerces essentiels »)… est-ce à dire que la culture ne fait pas partie de cette catégorie dite essentielle ? Pour le formuler autrement : comment peut-on fermer purement et simplement des lieux qui relèvent du développement de l’intelligence sociale et humaine ? Cela sous-entendrait que la culture relève du divertissement, de l’entertainment. On touche au nœud gordien, car, si l’on en est arrivé là, ce n’est pas le fait d’un président, d’un homme politique, c’est le résultat de dizaines d’années de relative invisibilisation, en partie due à un délitement sémantique, à un manque de culture de la culture. Que s’est-il passé depuis 40 ans, pour que ce milieu ne soit pas défendu comme sont défendues les enseignes d’électroménager ? Il est impensable qu’un peuple ayant la possibilité de commander sa télévision en ligne n’ait pas le droit d’aller au théâtre ou de se procurer un livre chez un libraire indépendant.
Revenons à ce qu’est la culture, intrinsèquement, et ce à quoi on échappe en l’embrassant, en citant cet exemple célèbre d’histoire parmi beaucoup d’autres : durant la seconde guerre mondiale, l’immense pianiste anglaise Dame Myra Hess jouait tel un soldat au front sous les bombardements de Londres. Son art était vital. Et il était aussi important pour le peuple qu’un discours de Winston Churchill. Ainsi, lors du premier confinement, nous nous sommes tous blottis dans les livres, l’écoute de musique, le cinéma, toutes choses essentielles sur le plan psychologique. Nous avons tenu par la vie insufflée à même la psyché.
Il semblerait que nous n’ayons d’autre choix que celui d’inventer dès aujourd’hui toutes les adaptations à l’ intérieur du cadre qui nous est imposé, sans repousser cela à un hypothétique « après ». Cette pandémie (de même que les futures épidémies envisagées ?) est le nouveau cadre à l’intérieur duquel il doit être permis d’évoluer et d’apporter son intelligence. Demain, nous ne serons peut-être plus en mesure de pouvoir soigner la Culture puisque ceux qui la défendent seront morts. Est-on actuellement à la hauteur de l’Histoire ?
Puisque tout se joue maintenant , que tout paraît s’imbriquer, et qu’il semblerait que l’Europe regarde la France comme un bastion dans sa capacité à défendre le droit à la liberté d’expression, n’est-il pas grand temps de relier liberté d’expression et liberté de création, les deux étant fondamentalement liées? En effet, les récents événements terroristes qui s’en prennent à l’Histoire et l’Art nous ont rappelé brutalement que la nature a horreur du vide. Ne serait-il pas tout simplement exceptionnel et urgent qu’un Président ayant été l’assistant du philosophe Paul Ricoeur considère qu’après des dizaines d’années de paupérisation intellectuelle et culturelle, la seule vie qui mérite d’être vécue soit celle de l’enrichissement personnel au profit de l’Autre, et ce (cerise sur le gâteau) en toute Laïcité ?