En ces temps difficiles pour l’Europe, Forum Opéra s’est avisé de proposer un Noël aux couleurs de notre continent. Paresse oblige, nous avons retenu trois nations ce Noël européen (quatre si l’on ajoute l’Autriche) mais on ne saurait douter que chacun des pays composant notre belle Union ne recèle les trésors nécessaires à un joyeux Noël !
UN NOËL ALLEMAND par Sylvain Fort
Peut-être devrait-on dire : en allemand car ce Noël-ci nous mène bien au-delà des frontières de l’Allemagne…
DIETRICH FISCHER-DIESKAU, COMPLETE LIEDER RECORDINGS, Deutsche Grammophon. 107 CD
C’est la première fois que Deutsche Grammophon rassemble en un gros et unique coffret le thesaurus de DFD. On y retrouve ses grandes intégrales (Schubert, Schumann, Wolf, Brahms) mais aussi les sélections indispensables (Loewe, Liszt, Strauss), les raretés (Von Einem, Debussy…) et les heureux doublons (Winterreise, Dichterliebe…). Bref, une somme rassemblant les enregistrements de 1949 à 2003 qui est, pour tout auditeur, la substance d’une vie.
WAGNER, RHEINGOLD (2CD) / DIE WALKÜRE (4CD), Wiener Philharmoniker, dir. Georg SOLTI. Deutsche Grammophon
Quoi ? Encore une réédition de cette base de toute discothèque wagnérienne ? Oui, cher lecteur, mais une fois n’est pas coutume, nous parlerons technique. Car si nous ne sommes pas de ceux qui jugent un disque sur la qualité du son, le transfert réalisé ici par Andrew Wedman des bandes de John Culshaw en format 24bit/192kHz est simplement renversant. Même avec une chaîne moyenne, on entendra ici une présence sonore, charnelle, dramatique comme rarement on l’avait perçue dans un enregistrement d’opéra : on a simplement l’impression d’être au premier rang d’une représentation convoquant dans son salon tout le théâtre de Wagner. Époustouflant et rare, dans un habillage luxueux.
Eric CHAILLIER, Anton Bruckner ou l’immensité intime. Buchet-Chastel. 384 pages
Il est toujours extrêmement difficile de rendre compte de l’humilité de Bruckner et de l’ambition cosmologique de son œuvre. Eric Chaillier y parvient admirablement en se mettant à l’écoute d’un géant modeste, en tenant la plume au plus près de la vibration secrète du compositeur. Ce regard pénétrant et pudique porté sur la vie et l’œuvre du maître autrichien fait de ce livre un compagnon indispensable pour cheminer avec Bruckner.
André TUBEUF, Schubert, l’ami Franz. Actes Sud. 192 p.
Œuvre posthume de qui aura sa vie entière scruté Schubert, et y sera comme personne entré, nous livrant année après année le trésor de son écoute. Le livre est bref, non parce qu’il est sec ou allusif, mais parce qu’il est comme quintessencié. Ici est la substance même de ce que Schubert nous donne à entendre. Non pas une somme, donc, mais un bréviaire.
Mathias GOERNE, Daniil TRIFONOV, Lieder (Berg, Schumann, Wolf, Chostakovitch, Brahms). 1 CD Deutsche Grammophon
Assumons : ce ne sont pas exactement des chants de Noël. Mais tout ce que le lied allemand (et, ici, russe en plus) porte de gravité et de force, par deux interprètes que n’effraie aucun abîme. Un des plus beaux programmes et une des plus belles exécutions de l’année ; un sommet, tout simplement.
UN NOEL FRANCAIS par Christophe Rizoud
Jacques Offenbach, Le Voyage dans la lune (CD-livre Palazzetto Bru Zane)
Quand l’inépuisable fantaisie de Jacques Offenbach rencontre l’univers fantastique de Jules Vernes, cela donne Le Voyage dans la lune, un opéra-bouffe-féerie redécouvert récemment grâce aux efforts conjugués de Génération Opéra, du Palazzetto Bru Zane et d’une quinzaine d’institutions lyriques françaises. Servi par une équipe artistique menée de main de maestro par Pierre Dumoussaud, ce Voyage est d’autant plus recommandé qu’il continuera d’occuper l’affiche de nos théâtres l’année prochaine dans une mise en scène de Laurent Pelly – notamment l’Opéra Comique du 24 janvier au 3 février. A compléter évidemment par le numéro de l’Avant-Scène Opéra consacré à cet ouvrage lunaire.
Hervé Lacombe, Histoire de l’opéra français – De la Belle Epoque au monde globalisé (Fayard)
O Monumento ! Dirigée par Hervé Lacombe, le 3e volume de l’Histoire de l’opéra français passe au scanner l’opéra en France au XXe siècle et au-delà, qu’il s’agisse du genre en lui-même, de ses nombreux avatars – l’opérette notamment –, de ses théâtres, en Province et à Paris, de son répertoire – arc-bouté sur une centaine d’œuvres et cependant sujet à transformation comme en témoigne la révolution baroque –, de l’évolution de sa représentation avec la primauté accordée à la mise en scène, des thèmes abordés par ses livrets, de sa déclinaison cinématographique et numérique… A compléter nécessairement par les deux premiers volets de cette trilogie monumentale : Du Roi Soleil à la Révolution et Du Consulat aux débuts de la IIIe République.
Marina Rebeka, Voyage (Prima Classic)
Lorsqu’elle n’incarne pas les grandes héroïnes du belcanto romantique – Norma, Anna Bolena… –, Marina Rebeka voyage en compagnie de Mathieu Pordoy dans le pays merveilleux de la mélodie française, un genre que l’on ne lasse pas d’explorer tant il compte de joyaux, tels ceux proposés dans cet album par une des voix les plus magnétiques du moment. A compléter absolument par l’intégrale Fauré de Cyrille Dubois et Tristan Raes chez Aparté.
Benjamin Bernheim, Boulevard des italiens (DG)
Avec au programme des airs d’opéras composés en français par des musiciens italiens – Spontini, Cherubini, Donizetti, Mascagni, Verdi… – le dernier album de Benjamin Bernheim rappelle l’attraction lyrique exercée par Paris au XIXe siècle. Comme à chaque fois qu’il chante dans notre langue, le ténor y est souverain. A compléter éventuellement par l’enregistrement des Abencérages de Cherubini, un exemple cette fois intégral d’opéra français d’origine italienne.
Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville – Titon et l’Aurore (DVD Naxos)
Titon et l’Aurore dirigé par William Christie et mise en scène par Basil Twist à Paris en 2021 rappelait quel grand compositeur d’opéra était Mondonville. Le report du spectacle en DVD le confirme. Reinoud Van Mechelen et Gwendoline Blondeel dans les rôles titres sont épatants. Les jeux de marionnettes se laissent regarder avec plaisir et depuis l’enregistrement des Grands Motets en 1997, on connaît les affinités des Arts Florissants avec cette musique. A compléter forcément par le récent Zoroastre de Rameau chez Alpha avec de nouveau Reinoud Van Mechelen dans le rôle titre.
UN NOEL ITALIEN par Cédric Manuel
ESCAPADE LYRIQUE A MILAN
Pour un cadeau à la fois inattendu et original (mais qui suppose quelques moyens il est vrai), offrez donc des billets pour un spectacle inoubliable à la Scala de Milan, où tout ne se résume pas à la soirée très select de la Saint-Ambroise ! Tenez, par exemple, quoi de mieux que de savourer un Verdi dans la ville où il repose (vous pourrez d’ailleurs en profiter pour aller à la Casa di Riposo où se trouve son tombeau) et ça tombe bien : vous pourrez choisir entre I Vespri siciliani en février (avec en alternance Marina Rebeka et Angela Meade) ou bien encore Macbeth en juin (Salsi, Netrebko / Semenchuk)… Pour la peine, la Scala vous propose des petits kits cadeaux…
Jonas Kaufmann et Ludovic Tézier, Insieme (Sony Classical)
Enregistré un peu à l’improviste au plus fort de la pandémie, ce disque événement affiche non seulement deux voix d’exception, mais aussi une réelle complicité artistique et humaine à laquelle se joint avec un sens du théâtre qui dit tout de son art, un Antonio Pappano qui couve les deux chanteurs du luxueux tapis de l’Académie Sainte-Cécile. Un disque d’âge d’or, comme nous le disions à sortie !
Federico Maria Sardelli, L’Affaire Vivaldi (Van Dieren)
Mieux qu’un casque de réalité virtuelle, une plongée dans le Metavers ou n’importe quelle réalité augmentée, le livre de l’éminent vivaldien Federico Maria Sardelli vous donnera le sentiment d’être immergés dans le coeur de l’Italie baroque, autour de la vie mystérieuse et trépidante du Prêtre roux. Un livre érudit, vigoureux, théâtral, en un mot un trésor qui ne déparera pas au bas du sapin !
Vincenzo Bellini, I Capuletti e i Montecchi (DVD Naxos)
Nul besoin d’aller dans les maisons d’opéras qui tiennent le haut du pavé lyrique pour trouver des bijoux, ni de courir après les divas à la mode. Cela n’empêche ni les superbes écrins (ici La Fenice), ni les mises en scène de grande classe (ici l’approche picturale d’Arnaud Bernard), ni les voix de premier ordre (ici Jessica Pratt, Sonia Ganassi), ni un orchestre qui, sans être celui de la Scala, sert parfaitement l’oeuvre de Bellini sous la baguette alerte d’Omer Meir Wellber.
Guy Delvaux, Antonio Ferrara, Norma (Si l’opéra m’était dessiné…, Kifadassé)
Et si pour amadouer votre enfant rétif (ou rétive) à l’opéra, vous commenciez par lui offrir une bande dessinée ? Le 9e art regorge de ressources et ne cesse de surprendre par son foisonnement. Sortie voici un an, cette Norma sur un texte -très fidèle au livret de Romani- de Guy Delvaux et des dessins remarquables d’Antonio Ferrara, est le troisième tome d’une série initiée avec Thaïs, puis Alcina. Admirable travail luxueusement présenté, il suffit d’en accompagner la lecture par un enregistrement du niveau approprié : pourquoi pas ceux de Callas, si brillamment remasterisés il y a quelques années ? Un cadeau qui en appelle un autre ? Décidément, c’est Noël ! Buon Natale, quindi !