Trois grandes scènes allemandes (quatre si l’on inclut Leipzig) proposent en l’espace de trois mois leur version de Die Frau ohne Schatten. Berlin affichait la remarquable proposition de Claus Guth autour d’une distribution idéale, Munich reprendra celle non moins passionnante de Krzysztof Warlikowski au début de l’Opernfestpiele et enfin Hambourg fait appel Andreas Krigenburg pour sa nouvelle production.
Étonnement, eu égard à la personnalité metteur en scène, on assiste à un patchwork de propositions déjà vues ça et là. Il y a du Wilson dans ces lumières élégantes sur fond de scène concave, ces robes en tulle, certaines gestuelles hiératiques. Il y a du Guth ou du Warlikowski dans ces infirmières et ces liens de contentions d’une Vienne psychanalytique début de siècle, dans ce lit à l’avant-scène aussi, comme si tout cela n’était que le songe de la Teinturière. Il y a la volonté de suivre les didascalies à la lettre et d’illustrer parfaitement chaque scène : féerie de l’illusion séductrice de la Nourrice au premier acte, grand escalier lumineux de Keikobad, membres et habits tâchés de pigments jaunes du couple laborieux… : les exemples abondent. Or, dès que le discours s’éloigne de cette linéarité du livret, l’on comprend mal où Andreas Kriegenburg veut en venir. Ainsi le dédoublement des héroïnes par des figurantes ne permet même pas un jeu d’ombre ou de miroir. Il n’y a pas d’angle fort, ce qu’achèvera de démontrer la mièvrerie de l’image finale.
© Brinkhoff/Mögenburg
S’il faut prendre chaque soirée en s’efforçant d’être vierge des précédentes, il est difficile de passer outre l’émerveillement qu’un cast cinq étoiles nous à fait vivre trois semaines auparavant. Pourtant les forces réunies sur le papier par l’opéra de Hambourg n’avaient pas à rougir a priori. Emily Magee est une interprète chevronnée de l’Impératrice mais l’eau de la vie a coulé sous les ponts du royaume des Esprits et son éveil est désormais bien hasardeux, imprécis et même parfois faux. Le deuxième et surtout le troisième acte, plus dramatiques, la trouvent plus à l’aise même si les sauts de registres qui parsèment la partition sont laborieux. Roberto Sacca assume l’Empereur avec ses moyens : une projection plus faible dans le médium l’oblige à compenser en épuisant les ressources de son souffle. Sa ligne s’en trouve hachée, les aigus parfois trop bas. Enfin, le rôle tendu enlaidit un timbre déjà nasal. Linda Watson rejoint les interprètes d’Elektra tentés par les rôles de mezzo straussiens. Avec certains des défauts souvent constatés : un vibrato envahissant et un manque d’assise dans les graves. Le tempérament et l’intelligence scénique emportent l’adhésion toutefois. Qualités partagées par Lise Lindstrom dont le métal aiguisé sied parfaitement au personnage de la Teinturière. Enfin Andrzej Dobber domine le plateau, même si l’ambitus exigé pour chanter Barack le pousse dans ses retranchements. Le timbre se maintient rond et chaud pour dessiner l’humanité du personnage. La jubilation finale porte tout le quatuor.
Kent Nagano malade, Axel Kober est venu en prompt renfort. Las, ses vues ne sont tout d’abord pas celles de l’orchestre préparé par l’Américain alité. Le premier acte en pâtit franchement et se perd dans un foisonnement de détails, dû sans doute à la volonté de tenir les troupes en multipliant les gestes adressés à chaque pupitre. La narration et la mise en tension s’améliorent cependant tout au long du spectacle pour se conclure sur un troisième acte de qualité.