Le directeur artistique d’un opéra peut sembler avoir un rôle mal défini, qui pourrait même devenir parfois inconfortable voire conflictuel, entre le directeur musical et le directeur exécutif de l’établissement. De fait, ce poste n’existe pas toujours, surtout dans les petites structures. Douglas Boyd, directeur artistique du Garsington Opera Festival (et directeur musical de l’Orchestre de Chambre de Paris depuis 2015), explique comment il conçoit son rôle.
En marge du festival de Garsington, Douglas Boyd, écossais très parisien, nous a reçu entre deux Eurostar. Ancien hautboïste soliste, il se partage maintenant entre deux domaines différents, la musique de chambre et l’opéra, en privilégiant dans tous les cas la direction d’orchestre qu’il pratique à travers le monde, et bien sûr à Garsington, cette année pour Capriccio.
©DR
Est-ce qu’il faut obligatoirement être musicien, ou même chef d’orchestre, pour être directeur artistique ?
Non, pas forcément, n’importe qui – j’entends avec les compétences musicales indispensables – est susceptible d’être directeur artistique, et les maisons d’opéra n’ont pas de règle particulière pour choisir, tout est possible. Cela dépend aussi des structures et de leur importance, et des choix des conseils d’administration. Je pense qu’il est quand même important d’avoir une bonne culture musicale, sans forcément avoir une pratique musicale professionnelle. Ici, à Garsington, lorsque j’ai été nommé en 2012, le choix s’est porté sur un musicien de métier, en l’occurrence un chef d’orchestre, ayant une bonne maîtrise du répertoire et de ses impératifs, propre ainsi à dialoguer le cas échéant avec les deux orchestres, le London Musicians, depuis près de 20 ans à Garsington, et le Philharmonia, qui sera à Garsington cette année notamment pour Falstaff.
Les compétences musicales sont-elles les seules qu’un directeur artistique doive posséder ?
Non bien sûr, il faut aussi avoir des compétences administratives et financières, que j’ai pu acquérir dans ma carrière antérieure, et en particulier dans la gestion du Chamber Orchestra of Europe. À Garsington, il n’y a pas de subventions d’État, seulement des financements privés essentiellement individuels, et de quelques entreprises. On fait aussi appel à des financements participatifs, système qui est déductible des impôts. Mais dans tous les cas, le directeur artistique doit prendre en compte tous ces paramètres, sans pour autant en être prisonnier.
Je pense aussi que pour qu’un directeur artistique réussisse, il faut que sa présence soit totalement intégrée à l’équipe directoriale, et que tout le travail se fasse en parfaite symbiose et harmonie. C’est le cas à Garsington où je suis en contact journalier constant avec la directrice exécutive, Nicky Creed, au sein d’une équipe directoriale petite, mais très passionnée, ce qui est le meilleur gage de réussite. Il faut bien comprendre que le directeur artistique n’est pas seul, et ne doit être ni un tyran, ni un potentat absolu, d’autant qu’il y a aussi un comité artistique qui se réunit quatre fois par an et propose beaucoup de très bonnes idées.
Les impératifs sont de fait nombreux, entre les contingences musicales et financières, le vedettariat, le répertoire rabâché et les œuvres peu connues. Comment concilier tout cela ?
Je comprends bien votre question par rapport à des maisons d’opéra traditionnelles ou à des festivals d’opéra où le remplissage est fondamental, et lié à la présence de vedettes ou d’œuvres connues. Mais à Garsington, nous avons la chance de fonctionner tout à fait différemment, car tout est loué directement dès l’ouverture de la location à 99,5 %, quelle que soit la programmation. Donc cela nous laisse une relative liberté d’action, pourvu que l’on présente un programme équilibré, d’où les œuvres contemporaines qui peuvent rebuter certains ne sont pas pour autant absentes.
Avant ma nomination, Garsington présentait surtout des œuvres peu connues de Rossini, Haydn, Mozart et Strauss. Après mon arrivée, j’ai essayé de diversifier la programmation, avec notamment Offenbach, Donizetti, Beethoven ou Tchaïkovski. En 2019, on donnera le Fantasio d’Offenbach, en anglais. Il convient de ménager un juste équilibre. J’essaie d’appliquer la maxime de Nikolaus Harnoncourt « La musique dite classique n’est pas un musée, nous devons lui donner vie pour un public actuel ».
Y a-t-il des différences d’approche entre un directeur musical d’orchestre et un directeur musical d’opéra ?
Le hautbois que j’ai pratiqué en soliste très longtemps m’a donné le sens de la maîtrise du souffle et de la respiration, ce qui m’a beaucoup aidé à comprendre les chanteurs, leur mode de fonctionnement et leurs éventuelles difficultés. Cela est d’une grande aide dans la préparation d’une distribution, en sachant les limites de chacun dans ce domaine, ce que l’on n’a pas à gérer avec un simple orchestre. L’adéquation au rôle est également un point important qui est lié en grande partie aux caractères de chaque chanteur et à ses compétences dramatiques.
Comment se fait le choix entre des vedettes internationales et de jeunes chanteurs débutants ?
L’impossibilité financière de faire venir à Garsington les quelques plus grandes vedettes du chant international est largement compensée par le fait de permettre à de jeunes chanteurs de commencer ici leur carrière. Le directeur artistique joue évidemment également un rôle fondamental dans ce domaine, en participant au choix de ces jeunes artistes, qui ne se fait pas uniquement sur la voix, mais aussi sur le phrasé, la musicalité et la compréhension du texte. La priorité est ici donnée aux chanteurs britanniques ou étudiant en Grande-Bretagne. Dans le cadre de notre Young Artists program, ils chantent d’abord dans les chœurs, puis assurent les doublures, de petits rôles, des récitals et assistent à des master classes (l’an dernier Ann Murray). Les meilleurs peuvent ensuite prétendre à des premiers rôles. J’assiste bien sûr à de nombreuses auditions internationales, et ne manque jamais celles de l’Opera Studio de l’Opéra de Francfort.
Nul ne peut ignorer que vous êtes un passionné de football et supporter du club Crystal Palace. Quels rapprochements pouvez-vous faire entre la pratique de ce sport et celle de la musique et de l’opéra, qui semblent de prime abord bien antinomiques ?
Comme pour le sport, la musique peut changer la vie d’un jeune, car je crois aux vertus sociales de la musique. Et puis, un entraîneur de football et un chef d’orchestre ont des rôles très similaires, l’entraîneur ne touche pas le ballon, le chef ne joue d’aucun instrument et ne chante pas, il s’agit dans les deux cas de management, qui doit être fait d’inspiration et de psychologie, et avant tout du plaisir de faire de la musique ensemble.
C’est pourquoi je suis très proche aussi du chef du programme des jeunes au Houston Grand Opera, et que je suis de manière très attentive notre propre Garsington Youth Company, qui offre aux jeunes de la région entre 9 et 21 ans la possibilité de développer leur plaisir de chanter et leurs dons grâce à des stages d’opéra dans le cadre de deux groupes, un de 9 à 13 ans, et un de 13 à 21 ans. Des résidences pour jeunes chanteurs leur offrent la possibilité de participer à des master classes, puis de participer le cas échéant à un spectacle, comme ce fut le cas en 2017 lors de la première mondiale de Silver Birch. En 2018, ce sera Eliza and the Swans, de John Barber et Hazel Gould. Toutes ces activités sont d’ailleurs très appréciées par Mark Getty, l’un des propriétaires du domaine de Wormsley où nous présentons notre saison d’été, qui souligne « Je suis sûr que l’opéra constitue une part centrale, du point de vue du futur culturel du domaine de Wormsley, tout particulièrement en touchant les écoles et les habitants des environs ». Le fait de toucher les jeunes et d’inscrire le festival dans la région est en effet fondamental, et constitue l’un des secteurs que je souhaite développer au maximum. L’Education program de Garsington fonctionne toute l’année, avec la participation importante de Roxanna Panufnik. Comme vous pouvez le constater, le rôle d’un directeur artistique peut prendre de multiples directions, selon ses propres centres d’intérêt et sa manière de concevoir le rôle et le futur de l’opéra, auxquels il peut ainsi s’efforcer d’imprimer sa marque.