« Il était un collègue idéal« , témoigne une soprano ayant souhaité conserver l’anonymat. « Super chanteur, humble, sincère et bosseur, et là dessus un gars à la culture super éclectique, qui avait une chaîne cinéma sur YouTube et avec qui on pouvait passer des soirées à parler rocknroll et géopolitique. Et il a bossé avec tout le monde…c’est pour ça que sa disparition bouleverse le monde de la musique ancienne. On perd plus qu’un copain, mais un membre de la famille« .
Sa compagne, la mezzo-soprano Floriane Hassler, a accepté de nous parler de lui :
Le chef Vincent Dumestre, avec lequel Virgile Ancely a beaucoup travaillé, a également accepté de nous parler de lui :
Virgile Ancely était une personnalité hors du commun. Par l’engagement et le talent, d’abord. Sa voix souple et puissante était parfaitement à son aise dans les répertoires des 17ème et 18ème siècles : il était sollicité par la plupart des ensembles baroques. Son timbre riche et précis faisait de lui un madrigaliste hors-pair, à l’aise à la fois dans le répertoire sacré et dans les musiques profanes, autant qu’un soliste apprécié : Chez Lully, il se révélait un Chevalier Ubalde aussi juste dans Armide qu’un géant Draco terrifiant dans Cadmus ; il était infiniment drôle dans le rôle du Mufti du Bourgeois Gentilhomme, et profondément touchant dans le trio Dormez beaux des Amants Magnifiques….
Malgré son expérience, malgré les sollicitations nombreuses, Virgile avait cette force touchante de toujours se remettre en question – cela qui fait les grands artistes. Bon traqueur, jamais routard, il doutait, perpétuellement, de lui-même : un doute joyeux et pragmatique qui faisait de lui un collègue volontaire, un travailleur acharné et un artiste passionné sans limite. Quand nous avons préparé Armide de Lully à l’Opéra de Dijon, il passait des heures à écouter, conseiller et soutenir ses collègues pour découvrir l’épaisseur des personnages et la juste théâtralité – j’ai en mémoire la très belle scène de l’acte IV avec David Tricou, Eva Zaicik et Marie Perbost. Pour cette raison, les metteurs en scène l’adoraient.
Mais ce qui me restera le plus intensément en mémoire de cet ami et collègue, c’est sa profonde bienveillance et sa curiosité généreuse. C’était un soliste, mais qui passait son temps avec les techniciens, les choristes, les instrumentistes, le personnel des théâtres : sans esprit de corporation. C’était un grand gaillard à la voix solide et forte, mais qui créait toujours le dialogue avec ceux, plus réservés, moins expérimentés, ou par exemple nouvellement arrivés dans les ensembles. Par une heureuse philanthropie du quotidien. C’était un chanteur remarquable, mais toujours le premier à reconnaitre le talent des autres, et curieux de tout et de tous – au point d’avoir créé, en parallèle de sa carrière, une chaine Youtube ou il évoquait avec passion les rapports entre cinéma et musique – chez Lynch, Terry Gilliam, Jim Jarmusch… Passionné, généreux et désintéressé, voilà ce qu’était notre ami et collègue Virgile. Au Poème Harmonique, nous nous demandons bien comment seront les prochains concerts sans lui, qui était quasiment de tous nos programmes depuis déjà 12 ans… Vivre, c’est apprendre à mourir, nous dit l’oxymore. La musique nous aidera peut-être désormais à désapprendre l’oubli, selon la très belle formule de Giono.