Il est tentant pour des parents ou des éducateurs de faire découvrir l’univers lyrique à de jeunes enfants. Si l’intention est louable, elle n’est pas sans danger : on court toujours le risque d’engendrer une sévère déception, avec pour résultat l’effet inverse de celui escompté. À l’origine de cette potentielle déconvenue, il peut y avoir le choix de l’ouvrage (c’est l’objet du présent article) mais aussi la langue et la mise en scène.
Les opéras chantés en français ne sont pas nécessairement toujours compréhensibles, même quand les artistes sont francophones : toutefois, un opéra en français dans une salle de taille raisonnable comme les théâtres de province ou Favart à Paris peut être une option satisfaisante.
S’agissant du surtitrage, je ne résiste pas à vous rapporter cette réponse authentique d’un pré-adolescent à qui je demandais pourquoi il allait voir les films en version doublée plutôt qu’originale : « Je paye pas pour lire ». Les enfants plus jeunes sont toutefois généralement moins effrontés et sont sans doute plus ouverts : on ne peut néanmoins pas s’attendre à ce qu’ils passent une bonne soirée, les yeux rivés sur les surtitres. Il faudra donc que l’intrigue de l’ouvrage soit claire et linéaire.
Reste alors le sujet de la mise en scène. Les enfants sont souvent assez rationnels : si Tosca ne saute pas dans le vide comme on leur a annoncé mais quitte la scène tranquillement, si Mimi est en orbite autour d’une station spatiale, si La Vestale (ouvrage déjà naturellement gratiné) fait référence à une série Netflix a minima pour jeunes adultes (au hasard : La Servante écarlate), il n’est pas garanti que de jeunes spectateurs accrochent particulièrement (toute ressemblance avec des productions de l’Opéra de Paris existant ou ayant existées serait purement fortuite). Sur ce second point, il faudra donc aussi être vigilant. Certains nous objecteront peut-être des arguments du type « J’ai amené ma classe de CP voir la production de Salome de Lydia Steier qui se passe dans une backroom : ils ont adoré la critique du patriarcat » : outre qu’il ne faut pas croire sur paroles des enfants qui savent quelle réponse donner pour faire plaisir à celui qui la pose, on rappellera cette réplique due à la plume de Michel Audiard, « Il y a aussi des poissons volants, mais qui ne constituent pas la majorité du genre ».
Voici donc quelques conseils, à apprécier à leur juste valeur, c’est-à-dire avec beaucoup de modération.

1. La Flûte enchantée :
Combien de parents ont présenté l’opéra de Mozart à leurs enfants en leur disant « Tu verras : il y a un dragon ! », oubliant de préciser que ledit dragon périssait dans les soixante-dix secondes suivant l’ouverture, et oubliant également de préciser que l’ouvrage comportait d’interminables dialogues parlés en allemand (sans coupures, jusqu’à 60 minutes : un véritable marathon du bavardage). Passons sur les clichés racistes ou misogynes (bon courage pour re-con-tex-tu-a-li-ser). De plus, la méchante (le personnage le plus intéressant habituellement) n’intervient que deux fois deux minutes, tandis que Ça-rase-trop pontifie, lui, interminablement, comme un professeur principal à la première réunion parents-élèves. .
2. La Petite Renarde rusée :
Après le dragon, la renarde, et encore une fois une fausse bonne idée. Le « pitch » : un chasseur poursuit vainement une renarde (actes I et II). Il la dégomme à coups de fusil (acte III). Vous pourrez toujours expliquer que les petits renardeaux ont survécu et que c’est le cycle de la vie qui bla-bla-bla : bon courage. Rappelons que, depuis la mort de la mère de Bambi, (1942), Disney n’a plus jamais osé de scénario aussi macabre.
3. Hänsel et Gretel :
De deux chose l’une : soit le conte sinistre des frères Grimm est inconnu de vos enfants, et ce n’est pas plus mal ; soit il ne l’est pas et ce n’est pas la musique « savante » d’Humperdinck qui risque d’apporter un supplément d’intérêt à la soirée. On a rarement vu qui que ce soit (et a fortiori des enfants) fredonner « Hurr hopp hopp hopp, Galopp, Galopp, mein Besengaul » en sortant d’un théâtre, pas même Humperdinck lui-même, c’est dire.
4. Rheingold :
Sur le papier, le premier volet de la tétralogie wagnérienne a de solides arguments pour des enfants biberonnés à l’univers des super-héros Marvel. On y trouve même un Donner, dieu du tonnerre (Thor dans les comics de Stan Lee, incarné au cinéma par le bodybuildé Chris Hemsworth qui, hélas, ne chante pas). Il y a des monstres, des méchants, de l’action, des rebondissements… Malheureusement, le bon Richard s’est une fois de plus laissé déborder par sa logorrhée habituelle. Or on sait que l’attention d’un enfant ne dépasse pas 40 minutes : autant dire que les 2h45 de l’ouvrage auront du mal à soutenir son intérêt.
5. Faust, Méphisto et leurs avatars :
Un diable, une épée qui se brise, des scènes de malédiction… Reconnaissons qu’il y a dans la version de Gounod pas mal d’ingrédients susceptibles de plaire à un jeune public. Malheureusement, tout cela est bien long, notamment le troisième acte plus romantique. Le chef d’oeuvre de Berlioz est plus court mais décousu dramatiquement. Le Mefistofele de Boito plane un peu trop. Robert le diable, quoiqu’un encore plus long, offre un scénario à rebondissement et une musique plaisante, mais on ne le donne jamais. L’ouvrage de Meyerbeer est en tout cas plus accessible que Der Freischutz : il existe bien une adaptation en français de l’ouvrage de Weber, due à la piété quasi filiale de Berlioz, qui conviendrait parfaitement à un jeune public, mais elle est également rarement donnée. Glissons sur les Scènes de Faust de Schumann et sur le Doktor Faust de Busoni.
8. Carmen et les opéras en français :
Si la musique de Carmen est plaisante de bout en bout, reconnaissons qu’il ne s’y passe pas grand chose de passionnant jusqu’au dernier acte. Le Cyrano de Bergerac d’Alfano a pour lui une intrigue intéressante et l’opéra est nettement plus court que la pièce, même quand elle est coupée (comme cela se pratique désormais à la Comédie française : o tempora…). Hélas, la musique de l’opéra est aussi difficile pour des oreilles non averties que le texte de la pièce pour un public moderne. Les Huguenots ou La Juive ont leur lot de rebondissements mais sont bien trop longs, et ce sont des raretés. On pourra tenter la Platée de Rameau, mais sa morale est aussi cruelle et datée que celles des romans de la Comtesse de Ségur. On déconseillera L’Enfant et les sortilèges : encore un bel ouvrage… pour les adultes ! Le fait qu’un enfant incarne un rôle principal (comme dans Le Tour d’écrou…) est hélas un faux-ami.
9. I Pagliacci et les véristes :
Des clowns qui s’entretuent : voilà un scénario idéal. En plus, l’ouvrage ne dure pas longtemps. Malheureusement, et pour cette raison même, I Pagliacci est généralement couplé avec un autre opéra, et traditionnellement avec Cavalleria rusticana. Il est de bon ton de dire que la musique de Cavalleria est supérieure à celle de Pagliacci (ça se discute) mais le fait est qu’il ne se passe quasiment rien dans cet opéra, le livret se contentant d’expliciter des événements passés entre deux chansons à boire, avant un duel éclair en coulisse. C’est un couplage toutefois plus aisé qu’avec la Sancta Susanna d’Hindemith. Tosca offre elle aussi un scénario à rebondissements, surtout si l’on ne dévoile pas la totalité de l’intrigue pour ménager le suspens. La Bohème est un brin gnan-gnan. La Gioconda est au mieux rasoir, au pire ridicule, en tout cas trop long.
10. Lucia di Lammermoor et le belcanto :
On peut tenter Lucia di Lammermoor : malgré la longueur des scènes finales du soprano et du ténor, l’ouvrage reste assez court. La plupart des opéras de Donizetti sont sur des canevas similaires avec des musiques moins immédiatement accessibles (celle d’Anna Bolena par exemple, créée superbement un climat étouffant propre à la situation dramatique). Il Pirata (Belllini) a pour lui un titre vendeur, mais le livret est une banale histoire d’amour entre gens pour la plupart mariés, donc sans intérêt pour des enfants. C’est encore pire pour Les Puritains. Les pyrotechnies rossiniennes (quand on y a droit) n’excitent que les adultes et les opéras-bouffes ne font rire personne.
Bonus. Les opéras de Verdi :
La Traviata est sans doute l’ouvrage dont l’intrigue est la plus accessible à un public moderne (l’Opéra de Paris en propose même une version transposée dans le monde des influenceurs). Malheureusement le dernier acte, larmoyant, est trop long malgré sa relative brièveté. Macbeth ou Le Trouvère peuvent être des choix payants si la mise en scène est lisible (en ce qui concerne le Trouvère, le livret est déjà assez compliqué comme ça). Aida est encore une fausse bonne idée : sa scène de triomphe exceptée, ce n’est pas un ouvrage spectaculaire mais plutôt intimiste. Quand bien même, aucune mise en scène d’Aida ne pourra lutter avec les effets spéciaux de Gladiator (d’autant plus que vous aurez plus de chance d’y admirer des marionnettes non racisées que des éléphants), à moins d’opter pour une version en réalité augmentée.
Certains compositeurs non signalés pourraient en revanche séduire des parents cyniques : l’opéra est un loisir dispendieux et on peut être tenté d’en dégoûter sa famille, du moins tant qu’elle ne gagne pas sa vie pas ses propres moyens. Pour les avaricieux, on pourrait donc conseiller Wozzeck qui devrait guérir la jeune progéniture de toute envie de retourner à l’opéra, et qui n’est pas trop long pour les adultes. On évitera en revanche Lulu, certes bien long, mais farci de péripéties susceptibles de soutenir l’intérêt. On saluera néanmoins avec respect des initiatives courageuses comme celle de l’Opéra de Hambourg qui propose un Stockhausen pour les enfants (novembre 2026) basé sur le deuxième acte de Donnerstag aus Licht, initiative qui nous laisse sans voix (d’autant que cette adaptation est purement instrumentale).

Comme on le voit, trouver le bon angle d’attaque est beaucoup plus difficile qu’il n’y parait.
On dit les enfants perméables comme des éponges, mais cela vaut pour les expériences positives comme négatives. L’âge fait aussi beaucoup à l’affaire et la sensibilité d’un enfant de cinq ans n’est pas la même que celle d’un pré-adolescent, ni nécessairement la même que celle d’un autre enfant du même âge. Bref, c’est bien compliqué.
Nous ne pourrons donner comme conseil vraiment utile que le suivant : jetez à la poubelle cette article après l’avoir lu (ou même avant, pour les plus pressés) et faites au mieux, comme vous le sentez, quitte à retenter l’expérience si la première fois n’est pas concluante : ils vous en seront un jour reconnaissants.
L’art lyrique a trop besoin de jeunes spectateurs pour renouveler les cheveux blancs et bleus qui fleurissent aux parterres.
N’hésitez pas à donner vos conseils ou à nous faire part de votre expérience en commentaire !