Selon la sagesse commune, la musique adoucit les mœurs. On ne peut toutefois pas dire qu’elle rende particulièrement tendre les compositeurs envers leurs collègues. Voici dix exemples de vacheries bien senties.
1. Rossini déchiffre la partition de Tannhäuser au piano. Quelqu’un lui fait remarquer qu’il tient celle-ci à l’envers. « C’est encore pire à l’endroit ! ». Cette anecdote est sans doute apocryphe, ou bien Rossini a-t-il voulu faire un bon mot. N’a-t-il pas déclaré également : « Monsieur Wagner a de beaux moments, mais de mauvais quart d’heures ». En l’occurrence, le Cygne de Pesaro avait apprécié l’ouverture de l’ouvrage, mais ne comprenait effectivement rien au reste de la partition. Quand il recevra Wagner (justement intimidé : le compositeur allemand l’avait autrefois qualifié de « marchand de poissons napolitain »), l’accueil sera on ne peut plus courtois. Rossini conclura la visite par ce mots « J’étais de mon temps, vous êtes du vôtre. Vous réussirez puissamment, je vous le prédis de grand cœur ». On peut lire cet entretien qui avait été rapporté bien des années plus tard par Edmond Michotte.
2. Claude Debussy fut quant à lui aimablement perfide vis-à-vis du compositeur saxon : « Wagner, si l’on peut s’exprimer avec un peu de la grandiloquence qui lui convient, fut un beau coucher de soleil que l’on a pris pour une aurore ».
3. Toujours Debussy : « Berlioz attache une boucle romantique à de vieilles perruques ». Ces « vieilles perruques », Berlioz les revendiquait : « « Je suis un classique. Romantique ? Je ne sais pas ce que cela signifie ».
4. Dans une lettre de 1857, Berlioz juge sévèrement Madame X… (le célèbre contralto Pauline Viardot) qui n’a jamais entendu les chefs-d’œuvre de Spontini et qui s’est éprise de « la lourde face emperruquée de ce tonneau de porc et de bière qu’on nomme Haendel ». Cette détestation sera constante : « Quand j’entends ou je lis certains morceaux de ce gros maître, je me contente de serrer fortement les dents, jusqu’à ce que rentré chez moi et seul je me dégonfle en l’accablant d’imprécations ». Toutefois, Pauline Viardot créera en 1859 la version d’Orphée et Eurydice révisée par Berlioz.
5. Berlioz témoignera longtemps de son admiration pour Meyerbeer : « Robert le Diable offre l’exemple le plus étonnant du pouvoir de l’instrumentation appliquée à la musique dramatique ; pouvoir que certains systèmes rétrécis ont voulu longtemps reléguer au quatrième rang, parmi les accessoires les plus matériels de l’art musical ; pouvoir récent, qui a acquis son plus complet développement entre les mains de M. Meyerbeer ; conquête de l’art moderne, que les Italiens eux-mêmes seront forcés de reconnaître pour étayer, comme ils pourront, leur misérable système qui tombe en ruine ». Les Huguenots le satisfont encore davantage « Parlez-moi de partition comme ça, c’est superbe ! Je voudrais bien voir Meyerbeer pour serrer la main qui a écrit de si belles choses ». Quelques critiques sont émises après la création du Prophète. Mais la création posthume de L’Africaine le verra on ne peut plus acerbe : « La banque Meyerbeer travaille comme un seul homme. Il a laissé des pensions à des écrivains chargés de le louer à tant par mois, à faire valoir sa musique », « Oui, j’ai vu la répétition générale de L’Africaine, mais je n’y suis pas retourné. J’ai lu la partition. Ce ne sont pas des ficelles qu’on y trouve, mais bien des câbles et des câbles tissus de paille et de chiffons », « Oh ! l’abominable non-sens, l’exécrable monceau de notes ! Voilà qui a coûté de l’argent ! Et une réclame qui a duré vingt ans… ».
6. Berlioz se moquait également de Chopin : « Il a été mourant toute sa vie ». Ce dernier n’appréciait guère Berlioz : « Berlioz compose en répandant l’encre de sa plume sur le manuscrit et en abandonnant la suite au hasard ». Stravinsky était finalement un grand classique puisqu’il repris cette même formule au sujet de Messiaen : « Tout ce dont vous avez besoin pour composer comme lui, c’est d’une grande bouteille d’encre ».
7. Autres méchancetés de Stravinsky : « Comment se fait-il que chaque fois que j’entends un morceau de musique je n’aime pas, c’est toujours de Villa-Lobos ? » ou encore « Vivaldi n’a pas écrit 450 concertos mais 450 fois le même concerto».
8. Emmanuel Chabrier disait « Il y a deux espèces de musique, la bonne et la mauvaise. Et puis il y a la musique d’Ambroise Thomas ». Les productions de son Hamlet à l’Opéra-comique, l’Opéra National du Rhin, l’Opéra de Marseille, auThéâtre de la Monnaie ou, plus lointainement mais très symboliquement au Lyric Opera de Chicago (avec Sherrill Milnes excusez du peu), prouvent que, pour être drôle, la méchanceté peut aussi être particulièrement injuste.
9. Benjamin Britten n’est pas un tendre non plus « J’ai essayé de lire une partition de Brahms et j’ai eu tellement la nausée que j’ai dû l’écarter ».
10. Pour terminer, rendons hommage au sens de l’auto-dérision de Richard Strauss : « Je ne suis peut-être pas un compositeur de premier ordre, mais je suis un compositeur de première classe parmi les compositeurs de second ordre ».