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Dmitry Korchak : « La voix seule n’est qu’un leurre »

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Interview
21 octobre 2013

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Détails

Dmitry Korchak semble prendre goût à Paris, à moins que ce ne soit l’inverse… Après Les Pêcheurs de Perles et I Puritani en 2012, il interprète sur la scène de l’Opéra de Paris Ferrando dans Cosi fan tutte, du 22 octobre au 13 novembre, puis Arturo (I Puritani encore) du 25 novembre au 14 décembre.

 

 

Vous êtes de retour à Paris pour Cosí fan tutte en octobre et I Puritani en novembre à l’Opéra Bastille.

Cosi fan tutte est une reprise de 1987 dans une mise en scène réalisée par Ezio Toffolutti respectueuse du livret. Le travail préparatoire nécessite une interaction entre partenaires, le livret et l’action demandent une approche soudée et collégiale. Cette théâtralité giocosa, burlesque, exige un vrai don d’acteur et beaucoup de réactivité. On est parfois déstabilisé par les coupures de dernière minute nécessitant une nouvelle mise au point. Pour Cosí fan tutte, il faut se plier à la reprise, mais avec I Puritani, nous démarrerons sur un terrain inexploré.

Vous avez déjà chanté en France : comment comparez-vous ce public avec celui d’autres pays ?

Le public diffère de ville en ville, d’un théâtre à l’autre et chaque pays a ses caractéristiques. Partout, le constat est le même. Les atmosphères sont imprégnée d’histoire, avec leur propre état d’esprit. Ni la France, ni Paris n’échappent à cette règle. Les réactions sont différentes entre Paris et les autres villes. Je l’ai constaté à l’Opéra de Lyon pour I Puritani et l’Otello rossinien où l’ambiance était plus chaleureuse qu’au Théâtre des Champs-Elysées. Le public de l’Opéra Bastille est plus éclectique et démonstratif. A l’Opéra Comique, le culte du répertoire oublié et la résurrection d’oeuvres rares veut que le public soit plus curieux.

Certains publics sont  aussi plus exigeants que d’autres…

Je le pense. Les Italiens par exemple connaissent et adorent l’opéra. Plus de la moitié du répertoire lyrique est né dans la péninsule italienne, c’est le berceau du belcanto. Cependant, je suis outré quand j’apprends que l’orchestre et les chanteurs sont hués. Ce n’est guère correct. Le public russe est moins exigeant que le public italien. Il est plus conciliant. Si vous remportez un franc succès, il vous porte alors aux nues, mais en cas d’échec, il peut aussi se montrer cruel. L’ambiance est particulière car la plupart des théâtres fonctionnent encore avec une troupe. Il est difficile d’obtenir un contrat d’artiste invité, chaque théâtre a sa propre réserve de ténors. Après avoir intégré la troupe, on ne vous autorise pas vous produire à l’étranger et vous pouvez y croupir.

Est-ce la raison pour laquelle il existe une école de chant russe ?

D’aucuns prônent l’existence d’une école russe, certains affirment le contraire. Je suis partagé : on ne peut évoquer une vraie école russe car l’apprentissage du chant et du style se fonde sur la technique italienne. Un pédagogue russe digne de ce nom évitera de vous faire travailler tout de suite le répertoire national. Lourd et difficile, le style et la prononciation sont ardus, même pour les chanteurs russes. Les compositeurs n’ont pas toujours ménagé la ligne de chant. C’est la raison pour laquelle notre base d’étude reste belcantiste. Cette base devrait être universelle.  Je ne suis donc pas certain qu’une école russe, allemande, française ou espagnole existe.

Pourtant, votre chant est différent quand vous interprétez le répertoire russe…

J’y suis contraint, car le chanteur est aux prises avec les difficultés que je viens d’évoquer. L’orchestration est dense et passionnée. La voix doit se faire ample pour passer la rampe. Il faut modifier son placement, son soutien, son contrôle du souffle et donc, la puissance. Pourtant, je conserve toujours ma base technique belcantiste. Les rôles de ténor dans l’opéra russe ne sont pas nombreux mais j’aime beaucoup ce répertoire. Je le chante plutôt rarement, car l’adaptation à son style exige une somme d’efforts que mon emploi du temps actuel ne me permet pas de gérer.

A quelques jours de la disparition de Patrice Chéreau, quel regard portez vous sur les mises en scènes actuelles ? 

Le monde a beaucoup changé. L’époque où les divas régissaient l’univers lyrique est révolue. Est-ce mieux ainsi, est-ce regrettable ? Passée cette époque et celle des chefs d’orchestre vedettes, c’est désormais au tour des metteurs en scène stars. Omniprésents, ils veulent tout gérer et régimenter. Ils devraient connaître la musique autant que le chef d’orchestre et les chanteurs, ce qui est loin d’être toujours le cas. Dans ces conditions, qu’en est-il du respect pour l’opéra ? Le public n’est guère dupe : les huées, les sifflets, les critiques sont là pour le prouver. Souvent, les metteurs en scène réduisent l’opéra à un show, reléguant la musique au second plan, la jugeant insuffisante pour satisfaire le public, pensant que les solistes ne sont pas à la hauteur. La plupart du temps, ils ne comprennent ni l’oeuvre, ni le livret, ni le texte, et encore moins la musique. Je vois là une forme d’ignorance assortie d’un égocentrisme déplacé. Pourtant, ils ne sont pas les seuls fautifs. Les directeurs des théâtres, qui les ont engagés, ont aussi une part de responsabilité. Je respecte mon prochain et je suis plutôt ouvert, mais j’attends d’un metteur en scène qu’il agisse en professionnel, qu’il connaisse l’oeuvre sur le bout des doigts et si possible, qu’il sache déchiffrer une partition. Certains d’entre eux travaillent avec le livret d’un CD car ils sont incapables de lire la musique ! Combien de fois n’ai-je pas entendu : « Mais pourquoi répètes-tu ce mot plusieurs fois ? » ! Que répondre à cela ? Il faut prendre sur soi, c’est délicat. J’évite les conflits, mais il faut être un fin diplomate pour ne pas tout plaquer, comme certains l’ont déjà fait.

Depuis le Stabat Mater au Festival Rossini de Pesaro en 2006, d’aucuns vous ont consacré ténor rossinien…

Je chante Rossini, notamment à Pesaro, correctement certes, mais cela ne suffit pas à faire de moi un ténor rossinien ! Ses partitions exigent des voix pleines et riches, même dans les opéras plus légers, voire bouffes. Alberto Zedda répète souvent que « la musique de Rossini est profonde et diversifiée : elle doit être fouillée et assimilée à la perfection ». Défendre ce répertoire implique de pouvoir passer du léger au bouffe, du demi-caractère au dramatique. J’exclus certains rôles ne correspondant pas à mes moyens.

Vous deviez incarner Arnold de Guillaume Tell en version concertante au Carnegie Hall, un rôle créé par Adolphe Nourrit. Un pari risqué ?

Eh bien figurez-vous que j’ai annulé ce concert, justement parce que je le trouvais trop risqué. Prudence et sagesse …

Quelle est votre réaction face aux critiques ?

J’essaie de m’en détacher, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Elles m’accompagnent dans la poursuite de ma carrière, mais ne l’entravent nullement.

Votre répertoire est ample et varié : Almaviva ou Nemorino sont à l’opposé de l’impétueux Werther que vous aimez particulièrement. Comment vous préparez-vous entre deux productions à des vocalités si différentes ?

La première étape est la lecture du livret et de la littérature traitant du sujet, historique ou politique. La compréhension de l’histoire est la clé: je dois entrer dans le personnage. Puis vient la maturation vocale. Almaviva et Nemorino, brillants et légers, sont aux antipodes du rôle-titre de Werther, qui est plus complexe. Pourtant, ils peuvent s’inscrire au répertoire d’un même ténor: Alfredo Kraus en est un exemple.

Hormis Werther ou Nadir, quels autres rôles du répertoire d’opéra comique aimeriez-vous aborder ? J’imagine que Des Grieux est au rang de vos favoris?

Absolument et je souhaite ajouter le rôle-titre de Faust et Roméo. J’envisage aussi de chanter le rôle-titre de Dom Sébastien de Donizetti, écrit pour Gilbert Duprez, en français et créé à Paris. J’espère de tout coeur pouvoir le chanter en France. Ce serait un retour aux sources !

Vous appréciez l’étude d’oeuvres rares, à l’instar de La Rappresaglia de Mercadante prévue au Teatro Real de Madrid sous la baguette de Riccardo Muti puis annulée. Une déception ?

Oui et non. Après avoir reçu la partition, j’ai réalisé que le travail serait énorme. Le livret est intéressant et la musique plutôt belle. Mais, j’étais effrayé à l’idée de devoir consacrer autant de temps à l’étude du rôle … Et puis, coup de théâtre, le lendemain Riccardo Muti m’annonçait que les représentations étaient annulées.

Vous êtes lauréat des Prix Francisco Viñas et Operalia (ce dernier assorti du Prix Zarzuela) en 2004. Que pensez-vous des concours internationaux et de leur utilité pour une carrière ?

Etudiant, je n’avais pas la possibilité de quitter mon pays, ni d’envisager une carrière, sans soutien, ni moyens financiers. L’unique option ? Rejoindre la troupe d’un théâtre moscovite, y passer toute mon existence et y mourir ! (rires). Les concours sont dans ce cas une chance pour un jeune talent. Muni d’un prix, vous auditionnez pour des théâtres et on vous considère avec une certaine déférence. Pour ma part, j’étais déjà engagé et sous contrat, mais j’ai tenté ma chance. Je ne le regrette pas. J’ai des amis qui ne font pas carrière et qui sont systématiquement finalistes ou lauréats de concours ! Aucune épreuve ne permet de démontrer qu’on possède la vraie trempe d’un chanteur lyrique. Tant de bêtes de concours sont totalement inaptes à une carrière ! Un prix, si prestigieux soit-il, n’est pas une réussite en soi et aucun concours ne prépare à la carrière de chanteur d’opéra.

Et côté enregistrements ?

En dépit d’une ample publicité en Russie, je n’ai pas encore de label officiel. Toutefois, en 2012, c’est un secret (rires), j’ai gravé avec le choeur de mon conservatoire à Moscou un CD de musique sacrée orthodoxe et de chants traditionnels russes. Le projet a intéressé Sony, avec lequel nous envisageons un récital d’airs lyriques. J’ai aussi enregistré un CD d’airs et duos verdiens avec Annick Massis, Francesco Meli, Giovanni Battista Parodi et le Parma Opera Ensemble. Enfin, j’ai réalisé plusieurs intégrales en DVD. Tout cela évolue sereinement.

Que pensez-vous du crossover ?

J’y suis plutôt favorable et il se peut qu’en Russie, des projets puissent voir le jour. L’essentiel, que ce soit dans le registre lyrique ou celui de la variété, est de chanter sans modifier la charpente et la couleur de sa voix.

Quelle place réservez-vous au récital et à la mélodie ?

Le concert est une discipline très difficile, car tout est concentré dans le temps, mais j’aime relever le défi. Je suis moins attiré par le Lied, hormis des cycles de Schumann, notamment les Dichterliebe. J’ai aussi chanté des mélodies russes et je vous garantis qu’elles ne sont pas plus faciles que des airs d’opéra.

Quels conseils donner à un jeune ténor ?

Remporter un prix ou un concours ne suffit pas et les premiers succès peuvent être trompeurs. La voix seule n’est qu’un leurre et n’est pas un aboutissement en soi. Le succès est une combinaison de qualités : maîtrise de la musique et des styles, connaissance approfondie du répertoire, instinct théâtral, résistance physique et psychologique… Un début trop précoce est contreproductif et peut détruire une voix mal préparée. Il est capital d’être entouré d’un excellent chef de chant qui pourra vous donner un avis franc et objectif. Il faut savoir être humble: Anna Nebrebko était accompagnée de son professeur à Vienne quand nous avons chanté Eugene Onegin : les jeunes artistes devraient en prendre de la graine.
 
Propos recueillis et traduits de l’italien par Claude-Pascal Perna
Paris, le 10 octobre 2013

 

 

 

 
 

 

 

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