Forum Opéra

Dmitry Korchak : « Le rôle du directeur musical est souvent éclipsé par les exigences incessantes des metteurs en scène »

arrow_back_iosarrow_forward_ios
Partager sur :
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur pinterest
Partager sur whatsapp
Partager sur email
Partager sur print
Interview
28 avril 2025
Le ténor russe interprète Le Duc de Mantoue dans Rigoletto à l’Opéra national de Paris du 10 mai au 12 juin.

Infos sur l’œuvre

Détails

Né en 1979, Dmitry Korchak s’est imposé sur la scène lyrique internationale après ses victoires au Concours Francisco Viñas et à Operalia en 2004. Spécialiste du bel canto, il excelle aussi dans le répertoire français. Il est aussi chef d’orchestre.

 Vous êtes surtout connu pour vos interprétations des grands rôles rossiniens. Depuis 2006, vous êtes une figure incontournable du Rossini Opera Festival…

Effectivement, lorsque je repense à Pesaro, je suis frappé par la manière dont cet endroit est devenu au fil des ans comme une seconde maison pour moi. Ce qui est vraiment étonnant, ce n’est pas seulement le nombre d’étés que j’ai passés là-bas avec ma famille, dans cette magnifique station balnéaire de l’Adriatique, mais aussi l’univers de Rossini que j’y ai découvert. C’est Rossini qui, au début de ma carrière, m’a révélé la légèreté et l’agilité de la voix — tout en me montrant que ma voix pouvait aussi incarner d’autres personnages, pas seulement comiques. Son opera seria nous oriente immédiatement vers d’autres types vocaux, et c’est là toute la beauté de Rossini : sa musique semble offrir quelque chose à chaque voix. Elle possède un lyrisme évident, mais aussi une théâtralité.
Avec les années, j’ai commencé à explorer des rôles rossiniens exigeant un timbre plus ample, parfois même à la limite du baryténor. Beaucoup de ses opéras ne sont pas seulement en italien, mais aussi en français, ce qui m’a naturellement conduit à m’intéresser aux compositeurs français. Mon expérience dans ce répertoire m’a permis, je crois, de cibler les aspects essentiels de l’interprétation : conserver une qualité lyrique même avec le poids vocal nécessaire, posséder un registre aigu brillant et offrir un phrasé raffiné et sophistiqué.

Comment votre voix a-t-elle évolué au fil du temps ?

Je pense être resté assez longtemps dans le répertoire léger, mais c’était un choix délibéré — je savais qu’il fallait y rester le plus longtemps possible pour préserver ma voix. Une fois que l’on passe à des rôles plus lourds, il n’y a pas de retour en arrière. Ce changement s’est fait naturellement avec l’âge et a enrichi mon répertoire. Nous avons tous soif de nouvelles productions, de nouveaux collègues, de nouvelles interprétations musicales — mais aussi de nouveaux rôles. La clé est d’être prêt pour eux, vocalement autant que mentalement.

Aujourd’hui, votre répertoire s’étend de Hoffmann à Nadir, du Duc de Mantoue à Erisso dans Maometto II. Comment équilibrez-vous puissance et virtuosité dans des styles aussi différents ?

C’est exactement ce que je voulais dire dans ma réponse précédente. En fait, les rôles que vous mentionnez s’inscrivent parfaitement dans cette logique — il serait bien plus difficile d’imaginer alterner Le Barbier de Séville avec Lohengrin !
Tous ces rôles me permettent de chanter avec ma voix naturelle, et c’est essentiel. Ce sont des opéras à l’orchestration dense, exigeant du chanteur un son plein, de longues lignes de legato, de l’endurance, une grande précision stylistique et une richesse de nuances — surtout dans la musique française. Pensez à l’air de Nadir, aux passages à couper le souffle des Contes d’Hoffmann, ou à la délicate aria du Duc dans l’acte II de Rigoletto. Et combien de fois des voix puissantes négligent-elles les subtilités dans des œuvres comme Werther, Norma ou Guillaume Tell ?!

Vous dirigez également depuis plusieurs années. Comment votre expérience de chef d’orchestre influence-t-elle votre approche du chant, et inversement ?

Cela fait maintenant plus de dix ans que je suis revenu à la direction d’orchestre — qui était ma première formation. Mon apprentissage de chef m’a beaucoup aidé à m’intégrer rapidement dans le monde de l’opéra : j’apprenais les rôles plus vite et j’établissais facilement un dialogue avec les grands chefs d’orchestre avec lesquels j’ai eu la chance de travailler.
Au fil des années en tant que chanteur, j’ai observé de près la manière dont les chefs dirigeaient les répétitions, et j’ai beaucoup appris. Avec le temps, j’ai ressenti l’envie de retourner au pupitre, fort cette fois d’une expérience directe de la scène. Connaître les défis de l’intérieur m’a donné un avantage et une confiance extraordinaires. Je suis convaincu que de nombreux chefs gagneraient à mieux comprendre l’art du chant, tout comme les chanteurs doivent comprendre les lois du théâtre et de l’orchestre — leur partenaire à part entière sur scène.

Si vous pouviez voyager dans le temps pour assister à une représentation historique d’opéra, laquelle choisiriez-vous ?

Vous savez, je n’éprouve pas un besoin particulier de revivre de vieilles productions, si magnifiques aient-elles été. Et, chose intéressante, nombre d’entre elles n’ont pas été accueillies immédiatement par le public de manière favorable.
Par ailleurs, je ne suis pas de ceux qui pensent que l’âge d’or de l’opéra s’est arrêté avec les productions de Franco Zeffirelli. J’ai participé avec grand intérêt à des mises en scène très modernes et créatives. Ce qui me manque vraiment, en revanche, ce sont les grandes interprétations musicales — collaborer avec des chefs d’orchestre légendaires, où chaque image et chaque réalisation musicale sont soigneusement travaillées. Aujourd’hui, le rôle du directeur musical est souvent éclipsé par les exigences incessantes des metteurs en scène. Bien sûr, le théâtre a besoin d’une direction scénique, mais j’aimerais que la vision musicale du chef bénéficie d’une attention équivalente.

* Dmitry Korchak sera à l’affiche de la prochaine édition du Rossini Opera Festival du 10 au 26 août, en tant que chef d’orchestre dans une nouvelle production de L’Italiana in Algeri, et en tant que ténor dans la Messa per Rossini. Plus d’informations.

Commentaires

VOUS AIMEZ NOUS LIRE… SOUTENEZ-NOUS

Vous pouvez nous aider à garder un contenu de qualité et à nous développer. Partagez notre site et n’hésitez pas à faire un don.
Quel que soit le montant que vous donnez, nous vous remercions énormément et nous considérons cela comme un réel encouragement à poursuivre notre démarche.

Vous pourriez être intéressé par :

(Fausse) comédie en musique, Giuditta, à l’affiche de l’Opéra national du Rhin du 11 mai au 3 juin, fait l’objet d’un nouveau – et ultime ? – numéro de l’Avant-Scène Opéra.
Actualité
Pourquoi Pierre Boulez n’a-t-il jamais écrit d’opéra (bien qu’il en ait souvent exprimé le souhait, et même envisagé plusieurs projets) ? Le chef d’orchestre et compositeur Frédéric Chaslin raconte.
Actualité
[themoneytizer id="121707-28"]