Un chef canadien, une soprano italienne, un ténor sud-coréen, un baryton russe, quelques Américains… Metropolitan Opera oblige, les espoirs montants et valeurs sûres de la planète lyrique se retrouvent fréquemment à New York. Le résultat est parfois contrasté, comme pour ce Don Carlo.
A maison internationale, production internationale. Arrivée de Londres où elle voyait le Don Carlo de Jonas Kaufmann et l’Elisabeth de Liana Haroutounian propulsée sur le devant de la scène par l’annulation d’Anja Harteros, la production de Nicholas Hytner s’établit à New York. D’un classicisme modernisé sous des dehors design, elle règle les entrées et sorties de manière lisible et définit des ambiances claires. Elle compte autant de réussites (le cloître de Saint-Just) que de ratés (l’autodafé devant la basilique d’Atocha) et se contente d’une définition sommaire et sans surprise des personnages.
En fosse aussi la soirée se divise entre un orchestre au son toujours aussi rond, plein, précis dans ses attaques et son chef du soir, Yannick Nézet-Séguin. Le Québécois est particulièrement attentif à la balance scène/salle, ce qui ne l’empêche pas d’alourdir les climax les plus martiaux de l’œuvre. La faute à un manque de dynamisme et à une direction qui oublie à intervalles réguliers d’aller chercher détails et fourmillements (à la petite harmonie notamment) dans la partition de Verdi. Inégaux aussi sont les chœurs où les basses mènent la barque cependant que les sopranos sont bien moins audibles. C’est, pour ainsi dire, criant dans la scène de l’autodafé. Une scène où se distinguent les Flamands, pour beaucoup issus du Lindemann Young Artist Development Progam.
Sur scène, chaque continent ou presque a envoyé sa délégation. L’Amérique dispose de valeurs sûres : James Morris, Hans Sachs étonnant de fraicheur en décembre dernier, est ce soir le Grand Inquisiteur, auquel il prête et son vibrato et ce timbre devenu piquant malgré la basse tessiture. L’Italie a fait convoi : Ferruccio Furlanetto (Philippe II) sonnerait presque comme au premier soir tant la ligne verdienne est châtiée, le souffle remarquable. Il compense un timbre moins chatoyant désormais par l’intelligence dramatique. Servi par un solo de violoncelle à faire fondre les gratte-ciels new-yorkais, il entonne « ella giammai m’amò » comme un long sanglot, très intérieur. Barbara Frittoli ferait presque pâle figure en comparaison : l’aigu se refuse parfois, le vibrato lui prend le pas et la projection est plus que limitée pour cet auditorium de 3800 places. La Russie n’est pas en reste. Dmitri Hvorostovksy, enchaine, après sa série de Renato, sur ce rôle qui met moins à mal son souffle. Nuances, style et charisme scénique continuent d’en faire un des Posa du moment. La Bulgare Nadia Krasteva prête son mezzo à la fatale Eboli. A Munich et à Paris sa Preziosilla faisait étalage de registres disjoints, New York l’entend avec une technique plus saine malgré quelques graves poitrinés dans le premier air. « O don fatale » met en revanche son ambitus à rude épreuve. En Don Carlo, le jeune Yonghoon Lee enfin est ambivalent. Il a pour lui un volume évident, une longueur de souffle et un beau timbre, qu’hélas il perd, lorsqu’il cherche une nuance piano. La prononciation est problématique, l’émission émaillée de portando disgracieux. Mais il est vaillant vocalement et ne connaît de défaillance à aucun moment de la soirée. Une vaillance qui conduit son jeu bien trop souvent au stéréotype : bras ouverts et poitrine gonflée.
Au final on est entré au Metropolitan comme on serait entré dans une auberge espagnole : on y trouvé un peu de tout, avec des qualités diverses, pour un résultat qui, sans atteindre à la gastronomie des palaces, n’en laisse pas moins apprécier le séjour.