Roberto Alagna n’a décidément pas de chance à l’Opéra de paris. Déjà la saison passée il a fini la première d’Otello presque aphone, cette fois de nouveau souffrant, il jette l’éponge après le deuxième acte de Don Carlo dans la reprise tant attendue de la production de 2017.
L’Opéra de Paris avait alors créé l’événement en proposant l’intégrale – au ballet près – du Don Carlos de Verdi dans sa version originale en français avec une distribution exceptionnelle. Deux ans plus tard, cette production signée Krzyrztof Warlikowski fait son retour sur la scène de la Bastille, cette fois dans la version italienne dite de Modène. Pour rappel, Don Carlos est une commande de l’Opéra de Paris qui comportait à l’origine cinq actes et un ballet. Il en existe deux versions en français, celle de la générale, la plus complète, et celle de la première du 11 mars 1867, entre les deux Verdi avait opéré quelques coupures. En 1884, l’œuvre est créée en italien à la Scala sous le titre Don Carlo, dans une nouvelle version pour laquelle Verdi a supprimé le ballet et le premier acte, à l’exception de l’air du ténor, et effectué de nombreux remaniements qui portent sur près de la moitié de la partition. Cette édition en quatre actes s’impose rapidement à travers le monde et demeure encore aujourd’hui la plus souvent représentée. Enfin, en 1886, une autre version voit le jour à Modène : il s’agit des quatre actes de la version de Milan auxquels on a ajouté le premier acte de la création parisienne traduit en italien. C’est cette version que nous propose aujourd’hui l’Opéra avec un premier acte complet qui s’ouvre sur le chœur des bûcherons et les interventions d’Elisabeth.
Déjà connue du public parisien, la production, qui situe toute l’œuvre dans un décor unique, a fini par se faire accepter. On apprécie certains tableaux comme celui de l’entrée de la Princesse Eboli dans une salle d’escrime, allusion à son œil perdu au cours d’un entraînement au fleuret, ou le début du quatrième acte qui montre Philippe II insomniaque chanter « Ella giammai m’amò » assis sur un fauteuil, l’air désabusé, tandis qu’Eboli avec qui il a visiblement passé la nuit, dort paisiblement ou encore le dernier acte dont le dépouillement est bienvenu. Cependant on restera réservé sur la scène de l’autodafé où les personnages sont entassés, immobiles, dans une sorte d’amphithéâtre, ainsi que sur certains tics du metteur en scène, l’incontournable lavabo ou l’omniprésence dans l’entourage d’Elisabeth d’une femme de couleur aux cheveux blonds, sans doute une servante, témoin muet du drame. Enfin, on se demande pourquoi au début du un, Don Carlo revêt un habit de prêtre alors qu’en 2017 il arborait une tenue sportive.
© Vincent Pontet / Opéra National de Paris
La distribution est dominée par Anita Rachvelishvili qui campe une princesse Eboli explosive avec d’impressionnants moyens, la seule sans doute à remplir sans difficulté l’immense salle de Bastille. La cantatrice géorgienne n’est pas sans rappeler les grandes mezzos italiennes du passé qui n’hésitaient pas à user – sans en abuser – de la voix de poitrine pour émettre des graves sonores et percutants. Elle se joue habilement des coloratures de la chanson du voile et propose un « O Don fatale » impressionnant au cours duquel elle alterne aigus surpuissants lorsqu’elle maudit sa beauté et un impeccable legato dans le cantabile central de l’air.
En début de soirée, Roberto Alagna a fait une excellente impression, le medium solide et assombri ne manquait pas d’assurance, et l’aigu souverain était émis avec facilité. L’émotion était au rendez-vous au cours de son air d’entrée et de son premier duo avec Elisabeth. Toute sa scène avec Posa était d’une tenue exemplaire et c’est à peine si au cours du second duo avec la Reine pourtant très expressif, quelques graillons trahissaient son état de santé. Après le premier entracte, Sergio Escobar prend la relève. Jetons un voile pudique sur sa prestation au troisième acte où, paralysé par le trac, il peinait à émettre un son correct. Au cours des actes suivants, le ténor espagnol est parvenu à livrer une interprétation plus qu’honorable. Etienne Dupuis campe un Posa juvénile au timbre séduisant. Si sa voix n’a pas l’ampleur de celle d’un Tézier, son incarnation tout en demi-teintes ne manque pas de conviction. Sa ligne de chant élégante et stylée fait merveille dans « Per me giunto è il dì supremo » et les accents poignants dont il parsème « O Carlo, ascolta » lui valent une ovation méritée. Grand habitué du rôle de Philippe II, René Pape offre l’image d’un souverain autoritaire dont il laisse entrevoir les failles. Si sa scène avec l’Inquisiteur est d’une haute tenue, la basse allemande ne peut masquer l’usure de ses moyens dans un « Ella giammai m’amò » certes bouleversant mais dont la ligne de chant hachée trahit le passage des ans. Face à lui, Vitalij Kowaljow est un inquisiteur au timbre clair et au registre grave par trop confidentiel. Aleksandra Kurzak affronte avec bonheur les difficultés d’un rôle qui la pousse presque jusqu’aux limites de ses possibilités. Sans jamais forcer ses moyens, elle campe une Elisabeth touchante et volontaire avec une voix claire et limpide. L’aigu est rayonnant et le grave audible. Elle parsème son chant d’ineffables demi-teintes et de notes filées du plus bel effet, tout comme sa messa di voce sur le mot « Francia » dans « Tu che le vanità ».
Des seconds rôles tous impeccables, citons le moine sonore de Sava Vernić et le Tebaldo au timbre chaud et homogène de Eve-Maud Hubeaux.
L’Orchestre de l’Opéra de Paris en grande forme et les Chœurs remarquablement préparés par José Luis Basso sont placés sous la baguette énergique de Fabio Luisi qui adopte des tempos généralement rapides avec un sens aigu du théâtre, notamment dans les grandes scènes de foule, spectaculaires.