Pour la création in loco du Comte Ory*, le Met s’est donné les moyens de ses ambitions et a pu relever ce qui était une gageure, car dans ce grand vaisseau, la finesse de cette comédie que Renée Fleming qualifie de « farce à la française » pouvait se perdre corps et biens.
Le metteur en scène Bartlett Sher, déjà sollicité par la première scène américaine pour Il barbiere di Sivglia et Les contes d’Hoffmann, a imaginé un dispositif scénique concentré sur une petite scène en bois, permettant de réduire l’espace par une mise en abyme astucieuse. Le théâtre dans le théâtre a certes été vu cent fois, mais le parti se défend et est ici bien conduit. Le régisseur est présent juste ce qu’il faut et les accessoiristes, notamment pendant l’orage, illustrent le propos musical. Certes, dans cette production, au moins jusqu’à la scène finale, pendant laquelle la Comtesse couche en toute connaissance de cause – mais contre le livret – avec le page et le comte qui y prennent beaucoup de plaisir, rien ne peut choquer le public new-yorkais. Rien de transcendantal donc, mais un très efficace travail qui s’appuie sur des costumes élégants. Il faut dire qu’avec les trois (voire les cinq) bêtes de scène dont il dispose, Sher n’a pas eu à forcer son talent. Les artistes s’en donnent à cœur joie et leur plaisir est communicatif.
Vocalement et musicalement, c’est un feu d’artifice, conduit par Maurizio Benini, à la tête d’un orchestre du Met peu habitué à ce répertoire. Dans le rôle-titre, Juan Diego Florez est idéal. Drôle et expressif, il est parfaitement à l’aise dans les vocalises et dans les aigus magnifiquement projetés, et parfois pris en voie de tête lorsque la situation l’exige. Certes, en cette matinée du 9 avril, le ténor péruvien est apparu quelque peu fatigué et tendu en début de représentation… mais il avait des excuses, son fils ayant choisi de naître précisément quelques minutes avant le lever de rideau. En Adèle, Diana Damrau, décalée et déjantée jusqu’à devenir presque inquiétante, donne le change, malgré une prononciation du français perfectible. La soprano allemande sait tout faire, c’est entendu. Mais comme le notait Antoine Brunetto dans sa chronique du spectacle new-yorkais, il manque un petit quelque chose pour s’enthousiasmer pleinement, peut-être lié à une fréquentation épisodique du chant rossinien. Joyce DiDonato, en revanche, connaît son Rossini sur le bout des doigts, elle qui a incarné notamment Angelina, Rosina et Elena. Elle est un Isolier proche de la perfection, presque viril, dont la complicité avec ses deux partenaires est parfaite. Stephane Degout, quelques mois après un Dandini moyennement convaincant (voir recension), trouve en Raimbaud un emploi qui sollicite moins l’agilité et qui lui permet de faire valoir sa belle prestance scénique. Quant à Michele Pertusi, éminent rossinien, les années commencent à se faire sentir, notamment dans le grave, mais la maîtrise technique et le sens des variations balaient toute réserve. Malheureusement, la Ragonde de Susanne Resmark n’est pas au même niveau et chante un sabir qui ne ressemble que de loin à la langue de Scribe.
Alors que le Comte Ory a bénéficié, depuis plusieurs années, de nombreuses productions sur tous les continents, la vidéographie ne comptait qu’une production de Glyndebourne de 1997, avec quelques arguments valables (Annick Massis, Ludovic Tézier…). Avec ce DVD, le Met prend sans conteste la première place.
* Le New York City Opera avait donné l’avant dernier opéra de Rossini, en 1979, avec les jouvenceaux Rockwell Blake et Samuel Ramey, aux côtés d’Ashley Putnam, tous sous la baguette de Imre Pallo.