Ni véritable remise en contexte historique, ni actualisation de la fable satirique : « c’est la dimension universelle du Coq d’or qui m’émeut et me captive. L’opéra de Rimski-Korsakov est avant tout une charge contre l’autocratie, le despotisme et la bêtise – despotisme et bêtise qui, malheureusement, d’hier à aujourd’hui, sont toujours les mêmes », indique Laurent Pelly dans sa note d‘intention. Oubliées, aussi, les images d’Épinal russes et/ou les ambiances orientales dans lesquelles on situe généralement la pièce. Usé par l’exercice du pouvoir, le tsar Dodon n’aspire qu’à passer les dernières années de son règne calé son grand lit, ici posé sur un tas de houille – l’impérial plumard reviendra au III, monté en char d’assaut. Pas davantage de couleurs, au contraire, dans la tente de la reine de Chemakha visitée (en armure et pyjama) à l’acte II : il n’en reste que la structure métallique renversée au milieu d’un désert charbonneux. Bref, même si la présence du Coq à taille humaine amène sa touche de jaune poussin, la noirceur ambiante l’emporte haut la main sur le burlesque des personnages.
Coproduction bruxello-nancéo-madrilène, cette mise en scène enlevée du dernier ouvrage lyrique de l’auteur de Shéhérazade avait davantage convaincu Dominique Joucken que Laurent Bury. Seule chose certaine, elle marque la filmographie. D’autant que le DVD capté à La Monnaie (extra muros) confirme qu’elle ne laisse aucune place à l’à-peu-près. A tel point que la direction d’acteurs prime parfois sur le chant. C’est le cas de l’imperturbable pacha de Pavlo Hunka, sans l’empreinte rêvée, et plus encore du général traîne-la-patte d’Alexander Vassiliev, en manque de graves. Si les très corrects Alexey Dolgov et Konstantin Shushakov jouent les parfaits imbéciles, rien de proprement inoubliable pour l’oreille non plus.
Alors qui ? Hormis l’Amelfa d’Agnes Zwierko, intendante aussi truculente que somptueusement ambrée, le plus bel atout du plateau n’entre qu’au deuxième acte. Mais dès qu’elle paraît, on n’a plus d’yeux que pour Venera Gimadieva, dont l’incarnation fatale et ô combien lascive de l’aguicheuse tsarine n’égale que l’érotisme des vocalises – pas une mince affaire, dans ce rôle drôlement perché. Envoûtante elle aussi mais sans toujours assez de tranchant dans les arêtes, la direction d’Alain Altinoglu assure le liant narratif de l’ensemble. Tant pis si les cordes ne semblent pas à toute épreuve, et peu importe que le chœur se retrouve loin de sa zone de confort : certes perfectible, la référence est là.