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The Rake's Progress

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DVD
24 juin 2020
Le pari de la jeunesse

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Igor Stravinsky (1882 – 1971)
The Rake’s Progress, opéra en trois actes sur un livret de Wystan Hugh Auden et Chester Kallman
Création le 11 septembre 1951, à La Fenice, Venise

Détails

Mise en scène
Linus Fellborn

Tom Rakewell
William Morgan

Anne Truelove
Aphrodite Patoulidou

Nick Shadow
JohnTaylor Ward

Baba The Turk
Kate Howden

Father Rosenius
Erik Rosenius

Sellem
Ziad Nehme

Orchestre Symphonique de Göteborg
Ensemble Choral de Göteborg

Direction musicale
Barbara Hannigan

Spectacle créé en décembre 2018

1 DVD 149’50’’
1 DVD Making Of 58’13’’

Accentus Music
Outhere Diff.

Je suggère de commencer en regardant le dvd n°2, sous-titré Taking Risks. On y voit Barbara Hannigan au début de cette aventure : à Paris, Londres, Zürich, Stockholm, elle auditionne de jeunes chanteurs. 350 jeunes artistes issus de 39 pays avaient envoyé un dossier et 125 avaient été retenus, pour distribuer finalement six rôles. Embarras du choix, évidemment, tant ils sont déterminés, fougueux, enthousiastes, et remarquables. Et c’est très joli de voir son coup de foudre pour Aphrodite Patoulidou qui sera Anne Truelove et William Morgan, qui chantera Tom Rakewell. D’une intuition sûre, elle sait que ce sera eux ! Très joli aussi de les voir bouleversés, quand elle leur apprend qu’ils ont été choisis.  
Derrière cette création, il y a un « projet » : le mentorat Equilibrium Young Artists, lancé par Miss Hannigan, pour aider de jeunes chanteurs, au début d’un parcours dont elle sait les embuches.

Les 60 minutes de ce making of vous feront, je crois, participer de façon intime, amicale dirais-je, à cette création, qui voit Barbara Hannigan diriger pour la première fois un opéra, en l’occurrence The Rake’s Progress, qu’elle connait de l’intérieur pour avoir chanté le rôle d’Ann Truelove à plusieurs reprises.

Semi-staged et on n’en demande pas davantage

C’est une version « semi-staged », mise en scène à demi. L’orchestre symphonique et le chœur de Götteborg sont en fond de scène dans une pénombre bleutée. Au premier plan, une grande boite cubique dont les côtés s’abaisseront et le drame (qui est aussi une comédie, ou un dramma giocoso) se déroulera dans cet espace. Si Tom sera toujours en scène, les autres personnages, quand ils ne seront pas dans l’action, revêtiront une tenue noire par dessus leur costume, comme s’ils étaient les officiants d’un rite. Le chœur restera dans l’ombre, comme celui d’un oratorio, plutôt que de figurer les prostituées, roués, respectables citoyens, et autres aliénés qu’il doit incarner au fil de l’action.

Autrement dit, tout se concentre sur le jeu, les corps, les visages, et bien sûr les voix. On pourrait parler de direction d’acteurs, plutôt que de mise en scène. C’est à Linus Fellbom que ce rôle est échu, lequel évoque la richesse de cette partition, son ambiguïté, la délicate balance entre comédie, parfois absurde, et drame profond. En quoi, elle ne peut pas ne pas faire penser à Don Giovanni, mais aussi à Falstaff, à une comédie musicale de Broadway, mais aussi à L’Histoire du Soldat (à cause du Diable et d’une musique parfois guilleretto-grinçante) ou à Pulcinella… C’est de loin l’œuvre la plus longue de Stravinsky (deux heures et demie), ce qui lui laisse le temps de se livrer au pastiche, au collage, à la citation, à l’ironie, à la dérision… Mais aussi – et souvent – à la nudité de l’émotion. D’où l’importance des visages, saisis souvent en gros plans par une excellente captation vidéo (soit dit en passant, l’équilibre voix-orchestre de la bande sonore est parfait).

Et somme toute, comme chaque fois qu’on voit une de ces versions semi-staged, on est tenté de penser qu’on n’en demande pas davantage *, et que l’imagination supplée à tout… Mais il y faut des chanteurs-acteurs impeccables, et vraiment c’est le cas ici.

Juvénilité et ferveur

Aphrodite Patoulidou est grecque, et la tragédie est son milieu naturel. Affaire de regard, de port de tête, de profil. Grave, sérieuse, sincère. Elle est de vocation une Ann Truelove. Le timbre est d’une beauté prenante, incarnée, charnelle, évidente. Il est des voix qui ont de naissance les couleurs du drame, où l’âme palpite avec presque impudeur, c’est son cas. Elle est bouleversante de sincérité, de tendresse et de virtuosité à la fois dès l’air « Quiet Night » au premier acte, suivi de sa prière « O God Protect dear Tom » et de la cabalette « I go to Him ».

John Taylor Ward arbore au sommet d’une interminable et gracile silhouette, une chevelure d’un blond sans doute artificiel. Il compose un Diable séducteur et glaçant, avec ce qu’il faut de second degré, diabolique et ensorceleur à souhait dans son grand air de la tentation « I Was Never Saner », au deuxième acte.

Erik Rosenius prête sa voix de basse au Père Truelove, avec la dignité réglementaire, et, de façon tout à fait pittoresque, il incarne aussi le personnage de Mother Goose, qui échoit théoriquement à un mezzo, et qu’il chante ici d’une voix de fausset assez rigolote, en grand décolleté.
Kate Howden offre son mezzo charnu à Baba la Turque, la femme à barbe que Tom épouse brièvement avant de la laisser choir, d’où une scène de fureur de la dame qui est son morceau de bravoure.
Autre morceau de bravoure, la vente aux enchères dont Sellem est le commissaire-priseur, et Ziad Nehme enlève le morceau d’un seul coup d’un seul.

Mais évidemment, tout repose sur William Morgan (Tom Rakewell) : c’est un grand jeune homme, un peu rondelet, il a un de ces visages où se devine encore celui du petit garçon qu’il fut, il a la souplesse des gros (qu’il n’est pas, rassurons-le). Juvénilité, bonhomie, fort capital de sympathie. Si le personnage deviendra (un peu) cynique, il n’est au départ que naïf et balourd. Very british en tout cas, il est vêtu sinon de probité tout à fait candide, tout au moins de lin blanc, joliment chiffonné.
Bravache au début, on le voit descendre aux abîmes, tel Faust, jusqu’à l’hébétude du réveil à l’asile de Bedlam, cerné d’un peuple de déments (l’arioso « Prepare Yourselves, Ye Heroic Shades », au troisième acte).

Ce qui convainc, outre la visible complicité d’une troupe ardente, c’est la parfaite adéquation entre le jeu et les voix. Même au plus fort de l’action, celle de William Morgan (qui par ailleurs est un Ottavio, un Tamino) garde à la fois sa force et ses couleurs, toute la nostalgie d’un personnage qui ne cesse d’en appeler tristement à l’amour, alors qu’il se perd. Ou du moins qu’il se laisse perdre par le Diable, ce Diable qui est partout comme les protagonistes le chanteront dans le sextuor final (cf Don Giovanni, bien sûr). Par quel diable (Schönberg ?) Stravinsky s’est-il lui même laissé entraîner ?

Grande maîtresse du jeu, précise et souple, murmurant tous les rôles, Barbara Hannigan tient en main un orchestre qui s’associe sans cesse à l’action. Impeccable rythmicienne, elle laisse chanter des vents constamment sollicités, et, parfois, quand le clavecin accompagne les récitatifs, on la voit se retourner pour suivre ses poulains, rayonnante.

 

* Alexandre Jamar, qui avait vu pour Forum Opera le spectacle à Paris, certes avec une autre distribution, était d’un avis différent…

 

 

 

 

 

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