Lors de mon analyse de la réédition de l’enregistrement des principaux extraits de La Vie parisienne par la troupe Renaud-Barrault, j’écrivais en conclusion : « À quand maintenant l’édition tant attendue en DVD de la captation intégrale de cet inoubliable spectacle ? ». En 2002, à l’occasion de la projection de ce film dans l’auditorium du musée du Louvre, où Micheline Dax raconta ses souvenirs du tournage, Jean-Claude Yon écrivait dans le programme : La Vie parisienne montée par Jean-Louis Barrault « est tout bonnement le meilleur spectacle offenbachien du XXe siècle, une merveille d’intelligence, d’humour et de rythme. Grâces soient rendues à l’ORTF d’avoir fixé, certes dans une production un peu tardive (1967), ce spectacle mythique ! ». J’ajouterai grâces soient rendues aux éditions Montparnasse d’avoir enfin édité ce film en DVD, qui nous offre le spectacle dans son intégralité1.
Alors pourquoi une édition en catimini, presque à la sauvette ? Le nom de Jean-Louis Barrault et de sa troupe ne figurent même pas sur la pochette à l’illustration peu vendeuse, aussi laide qu’inepte, alors que l’on vient tout juste de commémorer le centenaire de sa naissance (1910-2010). Et l’absence de toute notice à l’intérieur du coffret ne rend guère justice à l’importance historique de cette édition. Certes, la troupe a un peu vieilli, de nouveaux venus ont remplacé ceux que l’âge et la sagesse ont éloignés (Madeleine Renaud en baronne et Jean-Louis Barrault en Brésilien), et musicalement et vocalement l’ensemble n’atteint pas tout à fait la qualité du disque, malgré la direction endiablée d’André Girard. Mais quel entrain, quelle finesse d’interprétation : on ne sait qui préférer de ces acteurs chantants tels qu’Offenbach les avait souhaités, aux voix idéales parfaitement adaptées à chaque rôle.
Et tout d’abord Micheline Dax, dans le rôle de Metella3. C’est Jean-Louis Barrault lui-même qui a tenu à ce qu’elle soit présente dans le film. Certains découvriront ainsi que l’actrice, cataloguée comme fantaisiste (elle a fait partie de la troupe des Branquignols), était aussi une excellente chanteuse lyrique ; en fait, c’était sa vocation première, mais dotée d’une voix chantée légère, elle avait une voix parlée très grave qui ne correspondait pas aux personnages qu’elle aurait à interpréter, ce qui lui barra la route d’une carrière d’opérette. Plus aérienne, plus fine aussi que Suzy Delair, elle nous offre une Metella tout simplement délicieuse, parfaite cocotte plus que femme fatale. Simone Valère, en Gabrielle, apporte au rôle un piquant irrésistible, ainsi qu’une prestation chantée remarquable. On retrouve également avec plaisir Denise Benoît en boniche canaille et enjôleuse (« on m’appelle Pôôline »), et la charmante Geneviève Kervine (la baronne). Côté hommes, Pierre Bertin apporte au baron finesse et musicalité, Jean Desailly (Raoul) démontre d’étonnantes qualités vocales, Jean-Pierre Granval (Bobinet) ajoute sa gouaille, Georges Aminel est un excellent Brésilien, et bien sûr Jean Parédès est d’une immense drôlerie. Tout le reste de la troupe se situe au même niveau.
Que dire de plus, sinon que cette captation historique constitue un bonheur absolu ! Précipitez-vous pendant que ce DVD est en vente, car dès que son existence sera vraiment connue, il n’est pas sûr que les stocks résistent longtemps !
Jean-Marcel Humbert
1 Il ne manque, comme dans la plupart des productions, que l’acte dit « de madame de Quimper-Caradec ».
2 Qu’elle joua sur scène en alternance avec Suzy Delair qui enregistra le disque.