Dans beaucoup de pays européens, c’est avec La Petite Renarde rusée que le public mélomane put commencer à apprivoiser la musique de Janaček. Grâce au festival de Glyndebourne, l’Angleterre put goûter les charmes du plus grand compositeur d’opéra morave dès 1975, avant de présenter vers la fin des années 1980 et au début des années 1990 un excellent cycle incluant Jenufa, Katia Kabanova et L’Affaire Makropoulos. Il était donc assez logique que les aventures de Bystrouchka reviennent sur cette prestigieuse scène britannique, mais il n’est pas certain que la réussite ait alors été entièrement au rendez-vous.
Melly Still s’était vu confier Roussalka peu auparavant à Glyndebourne ; là aussi, il pouvait sembler logique de lui offrir un autre opéra en tchèque, entretenant des liens très relatifs avec la féerie. Hélas, sa vision du parcours de la Renarde peine à réellement séduire ou convaincre. Les danseurs omniprésents dans les scènes animalières, parfois comme doubles des chanteurs, semblent souvent plus envahissants qu’éclairants, malgré quelques jolis effets dus à un décor en forte pente, que les figurants descendent en rappel, ou au bas duquel ils se laissent rouler. L’arbre en planches qui occupe le centre de la scène d’un bout à l’autre du spectacle s’avère vite encombrant, même s’il évolue un peu avec le passage des saisons (mais de façon infiniment moins cohérente et raffinée que dans la production de Robert Carsen, revue récemment à Strasbourg et qu’on retrouvera la saison prochaine à l’Opéra de Lille). L’idée d’opposer le monde bariolé des animaux à la monochromie et à la grisaille des humains n’est pas mauvaise, mais la Renarde devient ici une sorte de bohémienne rousse assez peu attirante, et l’on s’explique mal que tous les mâles, bêtes ou hommes, fantasment sur cette créature mal fagotée et hirsute. Toutes les bestioles sont soit un peu trop délibérément amusantes, comme les grenouilles qui tiennent à deux mains leurs yeux globuleux au sommet de leur crâne, soit un peu trop déplaisantes comme le Moustique qui boit le sang du Garde-Chasse à la paille, ou le Coq qui fornique froidement avec les créatures de son harem. Ces animaux-là n’attirent guère plus la sympathie que les humains, malgré la dégaine assez réussie d’un Renard hippie et le choix d’une fillette joufflue aux nattes rousses pour camper la jeune renarde.
Même si la chanteuse semble s’amuser dans ce rôle de rebelle, le charme vocal de Lucy Crowe, moins opérant ici que chez Haendel, ne parvient pas à faire oublier le côte mémère imposé à la Renarde par la mise en scène ; l’aigu n’a pas tout à fait la séduction qu’il devrait avoir, notamment dans le grand duo d’amour avec le Renard. Emma Bell fait plutôt bonne impression en Renard, son timbre de soprano plus sombre offrant un contraste appréciable avec celui de sa consœur ; scéniquement, elle fait un goupil seventies très crédible. Vieil habitué de Glyndebourne, où il fut Tomski de La Dame de Pique dès 1992, avant de revenir dans Le Chevalier ladre de Rachmaninov en 2004, Sergueï Leiferkus n’a pas besoin de se grimer pour être un Garde-chasse aux cheveux blancs. Dans un rôle assez peu exigeant, on retrouve les caractéristiques d’une voix très reconnaissable, aux sonorités parfois très ouvertes et pas toujours flatteuses. Autre pilier de la scène britannique, Jean Rigby s’acquitte de deux personnages épisodiques. William Dazeley, jadis vu en Pelléas Salle Favart, est un Harašta convaincant ; Adrian Thompson est un Moustique pleine de verve, et Micha Chelomianski est bien la basse voulue dans le double rôle du Blaireau et du Curé. Malheureusement, la direction de Vladimir Jurowski est souvent précipitée, à la limite de la brutalité, avec des tempos inexplicablement rapides dans les passages purement orchestraux ou dans les moments réservés au chœur.