Forum Opéra

Avant tout un plaisir

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Edito
1 novembre 2010

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Vladimir Nabokov détestait la musique. Il le regrettait parfois, car il savait que l’abstraction des structures musicales n’est pas sans rapport avec la mathématique qui régit, par exemple, le jeu d’échecs – qu’il aimait tant.

Il détestait aussi Platon, et déclarait son aversion pour le régime germanique et musical exposé dans La République. Le lecteur se souviendra en effet que la cité idéale selon Platon bannit les poètes mais porte au pinacle les musiciens.

Et pourquoi donc ? Lisons : « Si la musique est la partie maîtresse de l’éducation, cher Glaucon, c’est parce que le rythme et l’harmonie son particulièrement propres à pénétrer dans l’âme et à la toucher fortement, et que par la beauté qui les suit ils embellissent l’âme si l’éducation a été donnée convenablement, mais l’enlaidissent dans le cas contraire ; et aussi parce que l’éducation musicale bien faite augmente notre perception de ce qui est bienvenu ou malvenu, dans les créatures comme dans les arts. »

Lors d’un récent séminaire réunissant les cadres dirigeants de Forum Opéra sur une île méditerranéenne (nous prions les annonceurs du site de bien vouloir hâter le paiement de leurs factures, merci d’avance), un pope local nous donna à méditer cette formule platonicienne. Nous fûmes unanimes à y trouver les raisons profondes de notre amour pour la musique, même si Camille de Rijck fit observer dans un crachotis de loukoums que Platon ne connaissait manifestement pas Pandi Panda.

Platon poursuit sans se démonter : «  quand la raison vient (avec l’âge), on l’embrasse et la reconnaît comme une parente avec d’autant plus de tendresse qu’on a été nourri dans la musique ». Evidemment, la fréquentation même sporadique des salles d’opéras, où les plus fervents mélomanes semblent habités non par la Raison mais par une sorte de névrose démentielle (neurosis dementialis) apposant sur leur front et leurs lèvres des plaques de fièvre fulminante, semble indiquer que Platon préjugeait un peu trop de la musique.

Mais enfin, quel bonheur de se dire que l’on peut faire son éducation morale en écoutant Maria Callas, distinguer le bien du mal en ânonnant la Donna è mobile, enfin devenir un parangon de vertu simplement en se trémoussant sur l’andante quasi allegretto de la quatrième symphonie de Bruckner.

Le comité exécutif de Forum Opéra quitta son île convaincu de son rôle à jouer dans la guerre du Bien, et je songeais, sur le yacht qui nous ramenait à Alexandrie, tout en regardant s’éloigner à l’horizon la tache blanche du monastère étoilé où nous avions passé des moments si essentiels, oui je songeais que décidément Nabokov est un con, quoique écrivain appréciable.

Revenu à Paris, je laissai mes amis finir leur conversation sur le quai de la gare, où l’Orient-Express encore fumant venait de nous déposer (ils disputaient, je crois, de l’adéquation de Christel Goltz au rôle de Nanetta), et me ruai chez moi afin de m’imprégner davantage encore de la pensée de Platon et de m’enivrer de sa spirituelle vision de la musique.

Parmi les sept éditions de La République que compte ma bibliothèque, j’ouvris celle dont la reliure en peau de buffle par Maximus Rodarensis (Politeia in greco sive Platonis Operum Volumen Sextum, Amsterdam, 1556) dégage un étrange parfum de lilas fané.

Au livre III (402c) je lus : « Nous ne serons pas musiciens si nous ne savons distinguer les formes de la tempérance, du courage, de la générosité, de la grandeur d’âme et des autres vertus… » (le terme « formes » [eidè, en grec] est à prendre au sens physique et moral). Alors, je tombai en quasi pâmoison, et je m’endormis en rêvant d’Anna Netrebko, qui a des formes pleines de courage.

Au réveil, je compulsais les autres éditions de La République, dans l’optique de rédiger à l’intention du ministre de l’Education de mon pays un Livre Blanc sur l’éducation musicale. Ce ministre s’appelait alors Luc Chatel, je le dis ici pour qu’on s’en souvienne dans les siècles des siècles.

C’est alors que je trouvai dans l’édition due à Emile Chambry (Les Belles-Lettres, Paris, 1932) une note de bas de page venant censément éclairer les propos lumineux tenus à l’adresse ce cher Glaucon. Commentant cela (on se demande du reste pourquoi, car cela se comprend tout seul), Emile dit : « C’est un dicton connu que la musique adoucit les mœurs… » – je fronçai déjà le sourcil à cette réduction ad midinettum d’un axiome philosophique marmoréen, mais Emile poursuit : « Les Anciens l’ont cru fermement, et Platon lui attribue une valeur éducative que nous trouvons exagérée » – dans sa cage, mon cœur fit un bond de léopard – « Pour nous la musique est avant tout un plaisir, et le plus délicieux des délassements » – oh, alors je pris le livre et le jetai d’un geste sec dans l’âtre où s’élevait une flamme pure !

Emile, ô Emile, pourquoi ? Pourquoi, Emile, toi que les dieux choisirent pour porter loin dans les temps à venir la pensée du divin Platon, pourquoi l’avilir ainsi avec rage et jeter en pâture à l’imbécillité bourgeoise ? Oui, pourquoi corrompre par la mollesse et la sentence de ta prose égarée le Sanctuaire dont tu eusses dû plus qu’aucun être la Vestale enamourée, jalouse, furibonde et digne ? Je me tournai vers Luc Chatel, qui venait de se lever et mâchait une barre chocolatée en lampant son thé Earl Gray, et l’apostrophai : – Luc, tu entends ça ? La musique, ‘le plus délicieux des délassements’ ah ah ah ! ‘Avant tout un plaisir’ ! Ah ah ah ! Non mais ! Hein ! N’importe quoi ! Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre… Luc ? Luc, tu m’écoutes ? Luc, pourquoi ce sourire affreux sur ta face ? Luc ? Que dois-je comprendre ? Luc… Tu ne fais pas partie de cette engeance raplapla ! Luc tu n’es pas de ceux qui… Luc, ne me dis pas que tu es émilechambryste ! Luc ? Non pas toi Luc ! Luc ! Luuuuuuuuuc……

 

Sylvain Fort

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