L’éditorial de décembre est le plus redoutable, car c’est le plus contraint. Avisez-vous, à quelques encablures des fêtes de Noël, de ne pas parler d’espoir, de trêve aux malheurs du monde, de lait de la tendresse humaine, et vous passerez pour un rustre ; tentez d’omettre, non loin du 31 décembre, les vœux et les espoirs, et vous semblerez un monstre sans cœur. Et pourtant, c’est un Noël sans joie et une année 2013 sans lumière qui nous attendent. Le monde va mal, nous le savons. Lorsque les peuples ne meurent pas de faim ou ne sont pas massacrés par de sanglantes guerres, ils tentent vainement de se révolter contre l’injustice et la misère. Sous nos cieux européens même, l’affreuse progression de la pauvreté et l’incertitude où sont plongées les nations jadis prospères n’incite à aucun sourire. Il n’est pas jusqu’aux nantis qui ne craignent pour leur emploi, jusqu’au plus insoucieux des rentiers qui ne se demande s’il passera l’année sans devoir mettre au clou la dernière toile de maître qui trône dans son salon dépeuplé par les huissiers. Non, franchement, il n’y a pas de quoi rire ni de quoi rêver, et lorsque nous fermons les yeux pour imaginer un monde meilleur, le fracas et la tourmente alentour ont vite fait de nous arracher à nos songes. La musique est le triste témoin de cette déliquescence. L’année écoulée a fermé des orchestres, déprogrammé des concerts, tué des opéras, affamé des artistes. Même Zeffirelli devrait aujourd’hui se contenter pour monter ses opéras de décors rappelant le Regietheater le plus sordide : les ors, les pourpres, les plastrons et les hauts-de-chausse, c’est fini ; place au lycra qui gratte et au formica qui pue. Joués bientôt par quelques musiciens payés au lance-pierre et dirigés par des chefs au frac élimé, les opéras nous présenteront dans un répertoire toujours plus limité des ténors pressés d’en finir pour ne pas rater le dernier métro et des sopranos qu’engraissent les ravioli graisseux d’une cantine malpropre. Voilà l’avenir. Ah, certes, nous allons fêter Verdi et Wagner en cette année 2013. Mais qui ne voit que ce faisant nous célébrons des dinosaures dont la race est éteinte ? Madame Breth à Bruxelles présente une Traviata faisant la part belle à la coprophagie ; c’est chic, c’est moderne, c’est Regietheater ; mais c’est nous, amateurs de lyrique, qui ingérons de la merde au kilo, et pas seulement celle de Madame Breth, hélas. Voir aujourd’hui un Wagner ou un Verdi convenablement monté est presque aussi impossible que faire dire la vérité à Jean-François Copé. De là le succès insensé de quelques productions-phares, comme le Don Carlos munichois de l’été dernier. Il est faux de dire que tout fout le camp. La vérité est que tout a déjà largement foutu le camp. Aussi, en cette année nouvelle qui approche, nous ferons ce qui nous plaît le plus et nous amuse le mieux : nous danserons sur le volcan, et avec les reliefs qu’ont laissés les festins de nos aïeux nous ferons de mémorables banquets funèbres. Bon appétit, et bonne année !