Cette Forza del destino munichoise aura eu une vertu majeure : faire l’unanimité. Certes, il en sera toujours pour trouver çà et là de quoi alimenter des réserves. Le fait est qu’ils sont étonnamment rares et que public, critiques, lyricomanes de tout poil ont chaviré de concert à ces représentations. Le plus frappant n’est pas ce succès. Le plus frappant, c’est la simplicité des moyens employés. L’Opéra de Munich a choisi une distribution certes presque idéale, mais surtout évidente : chacun des protagonistes est dans son juste rôle au juste moment. Le metteur en scène s’est permis des suggestions scénographiques auxquelles on peut adhérer ou pas, mais qui ne compromettent pas l’intelligence du spectacle et souvent l’augmentent. Enfin, l’orchestre a mis toute son âme dans ce drame. Bref : nous avons assisté à ce que peut proposer de mieux une maison d’opéra sûre de ses forces et capable de les engager pleinement dans une production. N’est-ce pas finalement tout ce que nous demandons ? La fameuse crise du chant, crise du lyrique, crise des théâtres n’existe pas lorsque les ressources adéquates sont affectées aux spectacles idoines. Personne ne nous empêchera de penser qu’il n’existe pas de crise, mais seulement des paris manqués qui sèment le doute et la contestation.
Les Dialogues des Carmélites au Théâtre des Champs-Elysées a proposé exactement la même alchimie : un metteur en scène viscéralement bernanosien, des artistes pleinement investis, et vocalement idéaux. Derrière ce spectacle, là encore, on a senti une patte, un savoir-faire de haute-couture qui se reconnaît à son évidence. Bravo. Voilà qui met en pièces bien des expérimentations supposées faire vivre le lyrique en le décalant ou en en violant ostensiblement les principes. Ce n’est pas faire acte de conservatisme que de dire que la vraie puissance du lyrique surgit d’une compréhension intime et vivace de ses règles : non pour les subvertir, mais pour leur faire exprimer à plein régime ces émotions qu’elles ont la charge de porter.
Ce sont ces spectacles qu’il faut avoir en tête lorsque l’on nous ressasse le combat des anciens contre les modernes. La vérité n’est pas, n’est plus, ou n’a jamais été dans ces catégories paresseuses et factices. L’effort de penser et de ressentir mène à des vérités autrement fécondes. Et les directeurs de salles dotés d’une oreille attentive capable d’anticiper les évolutions vocales des uns et des autres et d’organiser la convergence des talents ont plus de légitimité que les sourdingues souvent sourds et parfois dingues. Du reste, on n’oubliera pas de redire que la crise du chant verdien, wagnérien, puccinien est le faux diagnostic tiré de spectacles confiés à des chanteurs qui n’ont simplement rien à faire ni à dire dans ces répertoires et les abordent pourtant, pour des raisons de carrière ou d’argent.
Dans nos vœux à la nation lyrique, nous ferions figurer cet impératif : soyez simples. Ce souhait s’adresse aussi bien aux mélomanes, aux artistes, qu’aux directeurs de théâtre, tous liés par cette commune préoccupation : aller à l’émotion. Aussi le vrai clivage n’est-il pas celui des anciens contre les modernes, mais de l’émotion contre l’ennui. L’interview posthume d’Elisabeth Schwarzkopf par Jean-Jacques Groleau, que nous venons de publier dit tout à ce sujet. Je vous souhaite donc une année faste et heureuse, mais avant tout, lyriquement, une année d’où la grisaille et l’indifférence soient bannies.