Oh, cette malice. Cela figurait en filigrane dans le programme annoncé par Nicolas Joël, mais maintenant, mes amis, nous y sommes en plein. Plus aucune erreur de lecture n’est possible. On ne peut plus se méprendre. Pour débuter la saison lyrique, l’Opéra de Paris nous a offert un joli combat de catch.
A ma droite, une Mireille où ne manquent pas un épi de blé, pas un volant de jupe provençale, où Inva Mula laisse pleurer ses yeux bleus et tristes. A ma gauche, le Wozzeck vu par Marthaler, sous la tente plastifiée d’un jardin d’enfant, un jour de fête triste.
A Garnier, les grands sentiments et la douceur françoise, à Bastille, la neutralité glacée du post-moderne. A Garnier, Joël, à Bastille, Mortier. Deux époques, deux cultures, deux visions. And the winner is… aucun des deux.
Ah bien sûr, Nicolas Joël aura reconquis le cœur de ceux qu’avaient éloignés les provocations et les coups fumants de Gérard Mortier. Il aura reconstitué d’un coup d’un seul un public qui s’était désabonné, et fait fuir ceux qui avaient fini par venir au théâtre en se disant qu’en somme cela valait la peine, puisqu’enfin un directeur en ébranlait les codes. Nicolas Joël, c’est la Restauration. A bas l’anarchie, vive l’ordre, et que vogue la barque d’Ourrias.
De cette confrontation, que devions-nous déduire ? Que décidément la mise en scène de Marthaler appartenait à un temps désormais révolu, qui avait eu ses admirateurs et ses détracteurs, mais que plus jamais nous n’aurions la douleur de passer des heures à regarder benoîtement des putains droguées tenir la dragée haute à des SS dépressifs ? Et certains de se réjouir, et d’autres d’applaudir.
Et nous, de rigoler un instant. Car autant la conception de Mireille a tout d’une production signée Joël, avec les falbalas, les clichés et le cousu-main un peu désuet d’un conservatisme de bon aloi, autant la production de Wozzeck est signée Mortier, avec dans sa substance même une dose de conservatisme tout aussi massive dans que chez Joël. Décor mille fois vu, acrobaties convenues, œuvre détournée de son imagerie initiale : la production Marthaler fait tourner à vide des rouages contre lesquels l’ère Mortier nous a finalement totalement mithridatisés. Nous voici bien en peine de dire du mal de Marthaler. C’est ainsi, c’est le fatras coutumier, c’est la perversion ordinaire.
Si bien qu’à l’issue de ces deux spectacles d’ouverture, nous nous trouvons non pas face à un combat de boxe programmé, mais face à une étrange jonction de supposés contraires, chacun faisant jouer à plein ses propres recettes, figées depuis longtemps dans des grimoires usés. Les ficelles sont différentes, ce sont tout de même des ficelles. Pas de place là-dedans pour un regard qui ne fût celui du froid professionnel calculant son coup et comptant les recettes. Tous les deux assurent derrière leur auguste personne la présence de clients fidèles, dont le trait commun est d’être autant les uns que les autres assis sur leurs conservatismes. Wir arme Leut’ !
Sylvain Fort