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Edito
1 septembre 2008

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Moi non plus, je n’aime pas Juan Diego Florez. Je ne sais pas si, comme notre collaboratrice et amie Hélène Mante, je le « déteste », mais il est certain qu’à part une incroyable propreté technique que je lui reconnais humblement, je bâille à son répertoire et à sa monochromie. Pour dire cet ennui, tournant – matraquage et superlatifs obligent (SPECTACULAR !) – au plus vif agacement, Hélène Mante a sorti la hache et l’épée à double tranchant, et elle a fait mal.

Le monde alors s’est abattu sur ses frêles épaules. De toutes parts on lui a reproché son manque de nuances, de discernement, de finesse.

Je ne suis pas rédacteur en chef de Forum Opéra, mais son humble éditorialiste. Il me faut pourtant ici saluer le courage de la rédaction d’avoir passé sans le dénaturer ce papier, et d’en assumer la brutalité voulue.

Je voudrais dire à ceux qui se sont indignés (remarquez cette attaque de phrase quasi-sarkozyste) qu’ils connaissent Hélène Mante pour ses propos souvent drôles et sa culture évidente de l’opéra. Dans la même livraison, n’a-t-elle pas écrit sur le disque d’Erwin Schrott la recension la plus équilibrée et la moins tartuffe qu’il nous ait été donné de lire ? Qu’un inconnu au bataillon nous parle de Florez avec tant de cruauté, nous l’eussions pris pour un fou furieux.

Mais sous la plume d’Hélène, cette prise de position a un sens.

Ce sens, c’est que nous ne saurions, sous prétexte d’art lyrique, de haute culture, de raffinement, taire toujours les réactions épidermiques et pulsionnelles que suscitent certains artistes. Que prétend-on faire en nous affligeant d’un ténor SPECTACULAR et en lui confiant un répertoire censément pyrotechnico-virtuose sinon nous prendre aux tripes et nous engager à rendre les armes en rase campagne ? Nous demande-t-on d’être fin, artiste, éclairé, ou bien seulement de nous laisser épater par le SPECTACULAR ? Allons, allons, soyons sérieux : à malin, malin et demi, et si l’on nous demande de laisser parler notre émotivité, faisons le sans ambages, comme le fit Hélène en décrétant haut et fort, clair et net, qu’elle déteste ce chanteur !

Hé oui : les lecteurs se sont trop accoutumés à des articles pesant le pour et le contre, faisant valoir le bien, le moins bien, s’interrogeant sur le bien-fondé de tel ou tel parti pris, réservant des piques toujours mesurées aux metteurs en scène, mais déclinant une gamme subtile de reproches aux pires braillards, gourmandant en demi-teintes les chefs casseurs, reprenant avec tact les choix de directeurs de théâtre ignorants et veules, contestant en toute humilité la politique artistique de certaines maisons de disque frileuses, ou vendues, ou les deux.

Mais enfin ! S’il est de bon ton de ne pas saccager le travail des artistes, s’il convient de garder toujours assez de vigilance pour ne pas jeter Netrebko avec l’eau du bain (où volontiers avec elle nous soufflerions sur la mousse), où est-il écrit que l’anathème, la vindicte, la rage, la colère sont bannis désormais du domaine de la lutte lyrique ? Depuis quand devrions-nous accepter qu’un gros cochon de ténor qui nous hurle dans les oreilles échappe à la fessée de nos périodes cadencées ? Depuis quand les démolisseurs de la scène lyrique ont-ils immunité non seulement face à nos réserves et à notre déception explicite, mais face aux gifles de nos mots pleins de venin amer ? Il faut saluer l’initiative récente d’un journaliste osant – enfin !- dire que Gérard Mortier est un opportuniste dont l’incompétence et l’arrogance ont depuis des années attristé le public parisien semaine après semaine. Et même écrivant cela, je sens le vent de l’assignation passer près de ma tempe offerte…. Hou, j’ai trop peur !

Nous autres esthètes, nous avons tellement l’habitude de n’être pas compris du rustre et de l’analphabète béat que nous ciselons nos idées avec l’attention de l’orfèvre craignant de laisser perdre par excès de hâte un peu de précieux métal. Nous avons fait de la patience, de l’équilibre, de la justice, de l’égard et de la bienveillance les sains principes de notre parole, tant nous souffrons de voir la barbarie arrogante et grossière fouler aux pieds ce qui si souvent nous est le plus cher. Nous sommes des êtres civilisés, et c’est bien.

Mais n’oublions pas pour autant que Dieu ne hait rien tant que les tièdes, car ce sont eux, et non les barbares seulement, qui précipitent la chute des plus grands empires, et que notre plus grand péché envers l’esprit n’est pas l’excès, mais encore et toujours l’indifférence.

Sylvain Fort

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