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Eloge du professeur de chant

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Edito
2 mars 2011

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Qui, dans l’univers lyrique, est encore plus moqué, caricaturé, critiqué, vilipendé, mais aussi adoré, célébré, fêté que les prime donne et les tenorissimi ? Réponse : les Professeurs de Chant. Pourtant, à de très rares exceptions près, l’attention du public ne se porte pas sur eux. On ne sait pas qui ils sont. Tout ce que la foule en connaît, ce sont des légendes usées – passant de Manuel Garcia à Elvira de Hidalgo, de Vera Rosza à Régine Crespin, en passant par les fameuses Master Classes de Dame Elisabeth Schwarzkopf, où l’on sait de source sûre qu’elle fouettait les sopranos espagnoles à coup de martinet trempé dans du vinaigre.

Le professeur n’intéresse pas le grand public, mais il passionne les chanteurs. Car entre les mains du Professeur, ce n’est pas seulement l’amélioration technique d’une paire de cordes vocales que l’on remet, mais le plus intime d’espérances que la société bourgeoise réprouve et que le Professeur seul légitime, encourage, voire promeut. Telle est la vertu magique du Professeur de Chant, tout à la fois père/mère, mentor, modèle, repoussoir, tyran, confident. Le film de Corbiau Le Maître de Musique faisait jouer à plein régime ces sortilèges. L’étudiant considérant sérieusement le chant adopte bien souvent pour unique horizon de son quotidien les avis qu’au prochain cours distillera le Professeur de Chant. On sait cela. Et parce que le Professeur de Chant se trouve chargé de toutes sortes de facultés (dont il est rare, en somme, qu’il les possède toutes au même degré) par des gens censément jeunes prêts à confier à autrui leur destinée, le Professeur de Chant souvent déconne à bloc.

Il n’est qu’à écouter des Master Classes ou assister à des cours de chant pour entendre des propos que le bon sens réprouve, que la physiologie élémentaire conteste, que la psychologie condamne, que le bon goût interroge. Le Professeur de Chant invente des muscles, crée des résonateurs, imagine des conduits intérieurs, forge des systèmes de soufflerie fictifs, construit de toute pièce des images mentales, invoque des figurations cognitives privées de sens. Le Professeur de Chant entre dans l’intimité des cœurs et des âmes, prescrit des régimes et des ablutions, conseille des pratiques tantriques et des pastilles homéopathiques, résout les malaises par les talismans, et délivre depuis son trépied des augures définitifs sur la Carrière. Le Professeur de Chant tient de la Pythonisse et de la Vestale. D’où son succès. La ruée éperdue vers le BON Professeur de Chant n’a d’équivalent que la ruée vers le BON psychanalyste ou le BON astrologue.

On n’ignore pas que ce site d’art lyrique est fréquenté par toutes sortes de jeunes gens qui au creux de leur gorge pensent disposer d’un début de timbre, d’un embryon d’organe. Et cela est beau, car le Chant est le miel qui coule du cœur, comme disait le Maestro Coccolino.

Aussi vas-tu, ô toi lecteur qui te vois déjà saluant avec une feinte modestie le parterre en délire du Met, remettre ton Rêve entre les mains d’un Professeur de Chant. Alors écoute : ce Professeur, choisis-le bien. Choisis le contraire d’un Mage, le contraire d’un Gourou. Choisis un Professeur qui n’aura pas sur le front les rides profondes de l’amertume. Choisis un Professeur dont la grande carrière lyrique aura été d’abord une grande carrière de Professeur de Chant, et que peu t’importe si jamais il ne figura au rideau d’un théâtre majeur. Choisis un Professeur qui a choisi d’être Professeur parce que la jeunesse, la pédagogie, l’enseignement de l’art, le développement lent et sûr d’une voix l’intéressaient en somme davantage que les intrigues de coulisses. Choisis un Professeur non parce qu’il aura formé ou « sorti » telle ou telle vedette, mais parce qu’il n’aura réduit personne à un silence définitif. Choisis un professeur qui ne te demandera pas avec qui tu couches, ni combien de fois par jour, et qui ne jettera pas sur ta vie le voile sali de ses frustrations. Choisis un Professeur qui tienne davantage de l’entraîneur sportif que du Maestro Assoluto. Méfie-toi de ceux dont la demeure est peuplée de photos de scène et de dédicaces jaunies. Aime chez ton Maître de Chant la simplicité, la bonhomie, la sûreté du geste et de l’oreille. Et surtout, ne laisse jamais le Professeur de Chant mettre dans ta gorge le feu et la glace, dans ton esprit le doute, dans ton œil la larme.

Et toi, Professeur de Chant, ne crois plus nous abuser. La charge de jeunesse est une bien lourde charge : qu’elle te suffise. Que disparaissent les falbalas et les postures. Sois fier de ce que tu es : un Professeur. Ne t’arrête pas aux fantasmes des blancs-becs qui te confient leur larynx. Ramène-les sur terre. Fais-les travailler. Le don n’est rien, tu le sais. Sois heureux que Dieu t’ait permis sur cette terre de faire sourdre de gorges inexpertes un chant aussi radieux que possible. C’est un immense privilège, plus enviable à bien des égards que faire pleurer la mémère du troisième rang. Toi qui fais ce métier avec rigueur et sans ostentation, toi qui souffres des caricatures et des charlatans, je te salue bien bas. En toi la Tradition continue de vivre, quoi qu’en disent les critiques mal lunés. En toi une jeunesse passe quelques heures à faire autre chose que de la Comptabilité d’Entreprise ou du Marketing Direct. Ce n’est pas du rêve que tu vends : tu enseignes la voie vers l’expression concrète, immédiate,d’une aspiration primitive, essentielle. Nous parlons trop de divas, pas assez des Professeurs. C’est au moins autant grâce à vous pourtant, Professeurs selon notre cœur, que l’art lyrique continue de vivre et de palpiter. A vous donc, respect et gratitude.

 

Sylvain Fort

 

 

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