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En finir avec la comédie célébrante

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Edito
30 janvier 2011

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Voici des années que les gens de bon sens s’émeuvent de la frénésie que mettent les pouvoirs publics à publier chaque année une liste de personnalités qui feront dans le cours de l’an l’objet de commémorations, de publications et de colloques subventionnés afin qu’en soit dignement célébré le souvenir, pour autant que l’année civile tombe rondement sur un anniversaire, généralement calculé en décennies de naissance ou de mort.

 

Il ne faut pas s’y tromper. Cette liste des « célébrations nationales » émane d’un comité désigné sur des critères opaques. Elle n’a d’autre fonction que de faire bénéficier quelques vieilles vestales d’une manne de financement leur permettant d’allonger la liste déjà longue de leurs articles et autres conférences, dont on sait que l’Université est friande. Les plus avisés tentent des panthéonisations, des rapatriements de cendres, des manifestations populaires sur les parvis, et autres initiatives dont l’échec est généralement proportionnel au temps et à l’argent public qu’on aura investi à les provoquer.

 

La lecture du Recueil des Célébrations nationales est une source de joie sans pareil. Cette année encore, on y trouvera tout ce qui est né ou mort en la douzième année d’un siècle passé, sans égard pour la nature de l’action menée ou le type de service rendu aux arts libéraux. Constater que 2011 célébrera avec le même sérieux Franz Liszt (né en 1811) et Georges Pompidou (né en 1911) est une garantie d’esclaffement pour toute l’année, à moins que les voies sur berge ne soient considérées comme l’équivalent urbanistique des Etudes d’exécution transcendante, qui sait ? Un sourire supplémentaire nous est même octroyé cette année par notre bon ministre de la Culture, qui nous rappelle opportunément que le Recueil des Célébrations Nationales fête cette année ses vingt-cinq ans. A quand la célébration des célébrations ?

 

Mais le beau mécanisme s’est grippé : un importun avait inscrit Louis-Ferdinand Céline dans la liste, impair dont rue de Valois on s’avisa bien tard, et que l’on corrigea avec une précipitation maladroite. Car enfin, cette biffure souligne assez – si l’on en doutait – que les célébrations nationales n’ont rien à voir avec l’exhumation d’une mémoire, mais tout à voir avec l’adoubement politico-utilitaires d’artistes, d’écrivains, de figures historiques qui n’y peuvent rien. Céline aurait été le grand exemple que la célébration nationale sert à quelque chose. Enfin on aurait pu, cinquante ans après, rééditer ou à tout le moins relire ses pamphlets, en parler, expliquer pourquoi cet écrivain est en Pléiade, au programme de l’agrégation, objet de lectures et de séminaires savants, mais reste porteur de toute la mauvaise conscience nationale. Mais non, on ne saura pas, c’est interdit. La célébration nationale se donne aussi le droit de jeter à la fosse commune un certain nombre des sujets qui traversent les zones grises de notre mémoire nationale.

 

Le lecteur à ce stade se demande sans doute quel rapport ce propos entretient avec la musique. Hé bien, cher lecteur, demande-toi un peu ce que changea à la place de Chopin dans notre paysage national la célébration l’an dernier de son bicentenaire. Oh oui, des colloques, il y en eut. Des rencontres d’expert, des sommets chopiniens, et même certains pianistes purent inscrire à leur programme un peu plus de Chopin que d’habitude – mais ce n’est qu’une hypothèse. Et après ? Célébration nationale, dit-on : Frédéric Mitterrand a-t-il chopinisé quoi que ce soit ? Baptisé un conservatoire sorti de terre pour l’occasion ? Parrainé une bourse Chopin pour de jeunes étudiants en piano ? A-t-on vu à une heure de grande écoute la télévision publique se livrer à une quelconque « célébration » sollicitant le ban et l’arrière-ban de la bande chopinienne ? A-t-on eu droit à du Chopin dans les écoles ? Les pouvoirs publics ont-il d’une manière ou d’une autre fait comprendre au peuple que Chopin c’est bien, c’est beau, c’est important ? Rien du tout. Cette célébration, comme celle de Liszt cette année, ou de tout autre musicien, est restée confinée aux cercles des célébrants ordinaires, qui purent payer cette année un traiteur de meilleure qualité pour conclure le colloque ad hoc sur le sujet du moment. Croyez bien qu’on prépare avec ardeur les célébrations 2011 et même 2012. Les agendas sont prêts, les intervenants sont pressentis, les petits fours sont commandés.

Si l’on veut mettre un terme à cette comédie des célébrations nationales, il est peut-être temps de se poser la question de leur utilité réelle au-delà des gages donnés aux membres du Haut Comité aux célébrations nationales et à leurs petits camarades (toujours les mêmes, bien sûr). Il est temps que les artistes que la République a décidé de célébrer ne soient pas la proie de quelques académiques, mais deviennent le temps d’une année un bien public, que d’une manière ou d’une autre ils soient exposés à tous, accessibles à tous, proposés à tous. Démagogie ? populisme ? Peut-être, mais puisque c’est de mémoire nationale qu’il s’agit, il me semble que sa captation par quelques-uns, la décision réservée à un cercle coopté de désigner un personnage plutôt qu’un autre, la possibilité exorbitante qui leur est donnée de découper notre mémoire collective selon les pointillés qui leur conviennent, devrait à la fin tout de même se soumettre au jugement des citoyens. A ce vaudeville ridicule, on donnera alors peut-être un peu de la dignité dont chacun sait qu’elle n’est décernée que par ce qu’au XVIIIe Siècle on appelait « les lumières du peuple ».

 

Sylvain Fort

 

 

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