Certains termes semblent appartenir à une autre époque. La politesse, par exemple, dont l’exactitude fut celle des rois, a désormais déserté notre vocabulaire. Notre monde aussi. Il n’y a qu’à voir la manière furieuse dont on se bouscule dans le métro ou dont on s’empoigne sur les plateaux télévisés, au détriment de toute convenance, pour en faire le douloureux constat.
L’opéra n’y échappe pas. Chaque jour nous apporte son lot d’anecdotes où, durant la représentation, au mépris tant de ses voisins que des artistes sur scène, on consulte son smartphone, on déplie des papiers de bonbon, on froisse son programme, on tousse, on discute, on part dès le rideau tombé sans prendre la peine d’applaudir, trop pressé d’échapper à la bousculade des vestiaires. Madame agite son poignet couvert de bijoux comme si la partition manquait de maracas et Monsieur ronfle parfois. Si, si, je l’ai vécu. Il me fut même donné en plein milieu d’une représentation de Don Giovanni d’avoir dans mon oreille droite la musique de Mozart et dans mon oreille gauche la conversation téléphonique de ma voisine. Drôle de stéréo.
Le temps où l’on se faisait servir des sorbets en salle lorsque le spectacle ennuyait est révolu. Les mœurs, sous l’impulsion de certains musiciens – dont Wagner ne fut pas le moindre –, ont changé. D’autres codes régissent désormais l’art lyrique. J’ai voulu les rappeler, il n’y a pas si longtemps, à travers un article intitulé « Dix choses à ne pas faire à l’opéra ». J’ai dû mal m’y prendre. Je fus violemment estourbi sur les réseaux sociaux. C’est qu’il est aussi – on le sait – interdit d’interdire.
Les réseaux sociaux, parlons-en justement. L’anonymat autorisé par le 2.0 permet de piétiner allègrement ce que l’on appelait autrefois courtoisie – autre mot tombé en désuétude. A l’abri de son pseudo, il est aisé de donner libre cours à ses mouvements d‘humeur sans les enrober d’un minimum de formules. Ni bonjour, ni au revoir, ni merci, mais merde !
Notre magazine, que nous avons voulu ouvert à la discussion, en fait parfois les frais. Qu’un avis déplaise, qu’un titre d’article paraisse inadapté, qu’une coquille ait échappé à notre vigilance, qu’une erreur se soit malencontreusement glissée dans un compte rendu ou dans une interview et voilà notre rédacteur pris à partie sans ménagement, ni considération pour sa personne, pour le temps qu’il a passé, parfois le soir tard, parfois entre deux rendez-vous plus lucratifs (écrire sur l’opéra ne fait pas bouillir l’eau de la marmite) afin de partager au plus vite une information ou de livrer ses impressions, le tout gracieusement. Je sais qu’il faudrait des exemples pour appuyer mon propos mais je me refuse à reprendre ici ce que parfois je lis avec tristesse. Il ne s’agit pas de fermer la porte à la critique – nous serions mal placés pour le faire – mais n’y a-t-il pas manière et manière de dire les choses ? Si la politesse, et les rites qui l’accompagnent, disconviennent parce que définitivement obsolètes, préservons au moins les valeurs qu’ils véhiculent : bienveillance et respect.