C’était il y a un peu plus d’un an. Un chanteur avec lequel nous avions les meilleurs rapports de la terre, un ténor dont nous avions été jusqu’à photographier les bégonias à l’occasion d’un reportage exclusif, dans son jardin, nous fit la lippe. Alors que la veille encore il accueillait notre rédaction dans sa loge, en robe de chambre avec en main du champagne et des fraises de saison, aujourd’hui, il n’était plus même question de l’approcher d’un pas.
Notre émissaire, enfin, après de longues et infructueuses tentatives de médiation finit par toquer à sa fenêtre, logé sur la branche vacillante d’un chêne. Hirsute, décoiffé et cueilli en plein sommeil, le ténor finit par lâcher sa sentence : “vous avez dit du mal de moi”. Notre émissaire, de stupeur, perdit son assise et fit une lourde chute. Une fois ses esprits revenus, il s’expliqua “mais non, tu nous connais, on t’adore, jamais on ne dirait du mal de toi”. Et pourtant si, le grand ténor avait lu, sur notre site, des propos extrêmement désagréables à son sujet et avait décidé de nous tourner le dos, pour l’éternité des siècles et du temps.
Une commission d’enquête se composa en nos rangs et bientôt il fut mis en évidence que jamais, personne, sur le site, n’avait écrit, dit et encore moins imaginé le moindre propos négatif sur cet immortel artiste. Par contre, sur le forum, oui. Tous les jours des utilisateurs anonymes, probablement très laids de l’intérieur, péroraient, pontifiaient et débitaient d’inadmissibles commérages au sujet de notre ami ténor. C’est donc du forum que venait le mal. C’est la liberté d’expression qui nous causait du souci.
Au delà de ce triste constat (celui qu’il est dangereux de laisser s’exprimer le vulgum pecus), ce qui nous chagrina est qu’on ait pu confondre un seul instant les austères travaux de notre prestigieuse revue “Forumopera.com” avec ce qui se disait sur le forum. Comprenez, ce sont deux choses bien distinctes : le travail (admirable) d’une rédaction menée tambour battant par des êtres d’une compétence telle que la NASA nous les envie et un forum où échangent un ou deux lyricomanes qui sentent la vieille couche et la crème anti-escarres ! Plus sérieusement -car je sens mon propos s’emporter sous des velléités drolatiques- le forum nous posa ce jour là un premier problème, problème que nous écartâmes noblement d’une main majestueuse, au nom de la liberté d’expression.
Ecrasant une larme (car au fond, ce lieu de débats existe depuis maintenant exactement douze ans) il nous faut reconnaître un échec : celui d’avoir concentré les bonnes volontés de la rédaction sur la construction de celle-ci, aux dépens du forum qui en fut l’incarnation originelle. Un peu comme si un protozoaire, né d’un marais bourbeux, transformé en bipède chevelu par l’action merveilleuse de l’Evolution, décidait de faire poser une chape de béton sur le marais de sa naissance, incommodé par ses relents tourbeux.
Et c’est pourtant ce que nous faisons aujourd’hui. Parce qu’il y a, ailleurs, des forums plus activement modérés et animés, parce qu’il n’y a plus, sur notre site, la volonté de mettre de l’ordre dans des débats parfois scabreux et insipides, parce que, forts de douze ans d’existence, nous voulons nous concentrer sur ce que nous faisons bien : le journalisme musical et la polenta au ragoût d’artichauts.
Camille De Rijck