On connaît la loi de Murphy, la loi de l’emmerdement maximum : si votre tartine tombe par terre, elle tombera forcément du côté de la confiture. Ou comme disait le penseur Israélien Zeev Sternhell : « tout ce qui est aléatoire et matériellement possible, se produit nécessairement une infinité de fois durant l’éternité », on peut donc en conclure que tout ce qui peut mal tourner est immanquablement appelé à mal tourner ; l’exemple le plus frappant étant la mort qui jusqu’à preuve du contraire frappe tout le monde, à la seule exception des vivants qui sont – et ils le savent – dans un état strictement transitoire dont il n’y a aucune raison de se réjouir, à moins – vraiment – d’être épicurien, espèce qui de nos jours ne court pas les rues, surtout en période d’épidémie de gastro.
Cette Loi de Murphy semble s’abattre sur l’Opéra de Paris et sur son directeur Stéphane Lissner. Sitôt installé, celui-ci décide de se débarrasser de quelques-uns des plus proches collaborateurs de la précédente direction, ce qui est courant à l’opéra. Malheureusement, un journal mal intentionné chiffre ces banales opérations de ressources humaines à environ un million six-cent mille euros. Certains évoquent même deux millions deux cent mille euros, ce qui est cher. À peine installé, le grand directeur – tout auréolé de son succès à La Scala – doit faire face à la grogne du contribuable qui ne comprend pas qu’en temps de crise, on vire des gens à hauteur du prix de 505.747 Big Mac de chez MacDonald’s (hors Menu Best of).
Survient ensuite un épisode tragique où un éminent dramaturge, engagé pour remplacer l’un des employés précités – et donc remercié – est lui-même remercié quelques mois à peine après avoir choisi la moquette de son bureau. Voilà donc qu’on vire des gens moyennant de coquets préavis pour virer ensuite ceux qui à peine les remplaçaient.
Là-dessus, Stéphane Lissner, se rend à la télévision, accepte de se livrer à un blind-test lyrique au cours duquel on lui passe à peu près tous les tubes de l’art lyrique, ne reconnaît pas grand-chose puis rentre chez lui, un peu penaud, moqué par la lyricosphère toute entière.
Mais cela n’est rien comparé au tollé provoqué par Easy Rider. Qui est Easy Rider ? C’est un boeuf charolais de très belle constitution, avec le cuisseau ferme et la queue haute, loué par l’Opéra de Paris pour servir de Veau d’or à la production de Moses und Aron d’Arnold Schoenberg. Rien d’alarmant à ce stade, sinon qu’Easy Rider coûte au contribuable la coquette somme de 5000 euros par représentation, ce qui ne manque pas d’émouvoir ledit contribuable dont le revenu net par ménage est d’environ 2410 euros nets par mois. Tout cela sans compter les associations de défense des animaux qui hurlent à la maltraitance et trouvent qu’un bœuf charolais est plus à sa place dans un vert pâturage que dans une cage en plexiglas, offert à l’admiration de 2200 spectateurs.
Une semaine plus tard, la presse révèle qu’un puissant syndicaliste attaché à l’opéra aurait explosé son forfait roaming en passant ses vacances dans quelque station balnéaire et que la facture, dûment adressée à l’Opéra de Paris dépasserait les quarante-mille euros, ce qui est cher pour avoir visionné les quelques films disponibles sur la Troisième Scène, site internet un peu cuistre – mais très joli – de l’Opéra de Paris.
Bon, vient ensuite l’épisode des cloisons. La direction de l’Opéra de Paris décide d’enlever des cloisons dans les loges de l’opéra Garnier pour gagner quelques places payantes, des associations de patrimoine s’en mêlent, l’Académie des Beaux-Arts condamne ferment l’initiative alors qu’un important ex-directeur de l’opéra de Paris n’y va pas de main morte et titre une tribune : « les barbares ne sont pas qu’à Palmyre », montrant là un beau sens de la nuance. L’affaire agite le landerneau, une pétition est signée par plus de 32.000 personnes et des procédures judiciaires sont en cours.
Tout cela, alors que la première saison de Stéphane Lissner, artistiquement, se passe le plus merveilleusement du monde.
On pourrait penser, logiquement, que cette fois c’est bon, les ennuis sont terminés et que Stéphane Lissner va pouvoir se concentrer sur les deux choses essentielles qui mobilisent toute son attention : la programmation des saisons prochaines et la lecture de l’Opéra pour les Nuls en vue de son prochain quizz lyrique.
Mais non.
Alors que la première de La Damnation de Faust a eu lieu et que, parallèlement mais sans corollaire établi, le Front National est devenu le premier parti de France, voilà que la presse révèle que le metteur en scène Alvis Hermanis qui, justement, met en scène cette Damnation, aurait fait sur des réseaux sociaux des remarques vaguement islamophobes en comparant les migrants à une meute de terroristes armés jusqu’aux dents. L’intéressé a beau relativiser, des captures d’écran de publications supprimées ont un peu calmé ses dénégations. Voilà donc l’Opéra de Paris flanqué d’un islamophobe déclaré pour égayer l’entre-deux tours des élections régionales les plus tendues de la Cinquième république.
Lesdites élections semblent néanmoins indiquer que la Loi de Murphy s’intéressera à partir du 13 décembre au peuple Français tout entier et que l’Opéra de Paris pourra enfin remiser cloisons, bœufs charolais, metteurs en scène islamophobes, factures de roaming et entretiens préalables de licenciement pour s’intéresser à un sujet autrement plus sensible : la résistance.