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Le chant de la chair

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Edito
2 mai 2013

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Ecoutant l’autre jour le dernier récital d’un assez considérable ténor allemand, je me disais que, décidément, cette suite d’airs qu’on appelle récital est une bien vilaine manière faite à l’intégrité des œuvres et n’est guère conforme à la religion contemporaine de l’authenticité musicale. Il y a quelque paradoxe du reste à voir les maisons de disque renoncer presque entièrement à l’enregistrement d’œuvres intégrales pour nous abreuver de ces récitals présentant sur leur étal les membres épars d’opéras tronçonnés cruellement. L’enregistrement récent par la formidable Ann Hallenberg des airs écrits par Rossini pour la Marcolini ne nous faisait pas découvrir le visage d’une artiste du passé, mais une sorte de portrait cubiste vertigineux reproduisant à l’infini les mêmes traits, arrachés au terreau nourricier des œuvres.

Il faudrait réformer tout cela. Interdire la charcuterie musicale. On ne sache pas que tel pianiste présente en récital le premier mouvement de la D960 et le dernier de la Waldstein. Pourquoi les chanteurs se permettent-ils ces aberrations ?

Hé bien, sans doute parce que nous le leur demandons. Sans doute parce que nous allons en masse assister aux récitals. Sans doute parce que nous les achetons lorsqu’ils paraissent en disque. Sans doute parce que nous aimons cela. Amour coupable, et presque inavouable. Qu’aimons-nous dans un récital ? Pour beaucoup, retrouver des airs connus où l’on verra l’artiste aimé démontrer plus de bravoure, de sensibilité et de facultés que la concurrence. Le récital nous fait aimer encore plus ceux que déjà nous aimions bien. Pour les plus raffinés, le nouvel air exhumé d’on ne sait quel opéra oublié inscrit au programme du récital démontrera que l’artiste aimé est, en plus, cultivé, curieux, et ajoute à ses exceptionnels dons vocaux une intelligence historico-musicale admirable. Peu importe que derrière cette découverte se cache un musicologue maniaque et rachitique,  à l’haleine gâtée par la poussière des archives : la redécouverte du manuscrit TX-00789 dans les tréfonds de la bibliothèque du Prince Von Schweinhund sera mise à l’actif de notre chanteur ou chanteuse favori(te). Dans le récital, nous aimons aussi que l’artiste investisse dans un seul air la dose d’énergie qu’il aurait distillée en l’espace de toute une soirée d’opéra. Il y a là une débauche de drame qui nous allèche et nous retient.

Tous ces arguments sont recevables, pas vrai, ami lyricomane ? Oui, mais ils ne sont pas tout à fait sincères. La vérité est ailleurs encore. Dans un récital, ce que nous aimons, c’est moins la musique que l’artiste. Et de l’artiste, ce que nous aimons c’est le tempérament plus encore que la voix. Nous aimons un regard, une posture, nous aimons un timbre et une certaine façon de faire. Franchement, Wagner, Mozart, Verdi, Offenbach ou Rossini, on s’en moque, tant que devant nous se dresse l’Artiste que nous avons élu. En bis, on nous chantera des bluettes, et nous serons transportés. La mort d’Isolde nous enthousiasmera, quoiqu’un peu longuette, mais Roses de Picardie nous émouvra aux larmes. Allons plus loin, dans ce fatras d’air dont on se moque bien de savoir ce qu’ils racontent au juste, nous guetterons le petit moment d’émotion. L’instant où se cristallisent un tremblement et un frisson. Parfois, il suffit d’une phrase. Souvent, il suffit d’un mot. Très souvent, ce sera l’affaire d’une note. Oui, une note bienvenue, fichée droit dans notre âme de lyricomane, et nous serons aux anges. De maint récital, nous retenons deux ou trois notes. Pas plus. Que nous importent dès lors les millions de notes qui composent les opéras intégraux ? Que nous importe ce monceau de mots et de phrases ? Le récital répond à notre appétit gourmet pour LA note. Si l’on devait réformer l’exercice, on le réduirait à quelques phrases choisies pour LA note qu’elles contiennent et qui recèle toutes les émotions du monde. Certains amateurs ont franchi le pas : Youtube regorge de récitals où l’air choisi est compacté en une phrase voire une note.

C’est que nous, les lyricomanes, (enfin, surtout toi, lecteur), nous n’aimons pas seulement la musique avant tout. Nous aimons le chant. Et ce qui chante, c’est la chair. Le récital est notre communion charnelle avec les artistes que nous aimons. La note est notre extase. Le récital n’est rien d’autre en somme qu’une des voies vers l’orgasme multiple. Nous ne sommes pas près de nous en sevrer.

 

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