Tandis qu’à l’Opéra de Paris, les différents corps de métier continuent à se relayer, chaque représentation étant ainsi empêchée tantôt par la grève du chœur, tantôt par celle de l’orchestre, tantôt par celle des techniciens, une information vient rasséréner quelque peu le mélomane : à Radio France, dès lundi, les émissions pourront reprendre leur « bon déroulement », pour reprendre une formule désormais consacrée ailleurs. Oh, ce n’est qu’une trêve des confiseurs, une simple suspension, puisqu’un nouveau préavis pourra être déposé début janvier, mais du moins les fêtes de fin d’année apporteront-elles leur lot de concerts diffusés par France Musique, par exemple. Et puis il y a grève et grève, puisque celle qui paralyse la Maison Ronde depuis plusieurs semaines n’est pas liée à la réforme des retraites, mais à un plan de réduction des effectifs.
Quelques trous se rebouchent donc dans ce mois décembre qui, musicalement, présente beaucoup de ressemblance avec un gruyère (ou plutôt avec de l’emmental, préciseraient les amateurs de fromage). Une programmation qui aurait dû être remplie de belles et bonnes surprises, comme une sorte de calendrier de l’Avent, s’est finalement révélée riche en espoirs déçus. « Plus de trous, plus de goût » disait jadis un slogan publicitaire pour le gruyère, ou sans doute plutôt pour l’emmental. Un goût amer, alors.
Si la grève a pu toucher d’autres maisons, entraînant ici ou là l’annulation d’une représentation – Les Noces de Figaro du 5 décembre au Théâtre des Champs-Elysées, par exemple –, c’est néanmoins à l’Opéra de Paris que ses effets se font le plus cruellement ressentir. Le Prince Igor ? Déjà cinq représentations annulées sur les onze prévues. La dernière de Lear à Garnier est passée à la trappe, ainsi que les deux dernières de Bastien et Bastienne à l’Amphithéâtre Bastille. Mais c’est bien sûr l’annulation des deux soirées où Le Pirate de Bellini devait être donné en version de concert qui a causé le plus grand émoi, pour une œuvre que Paris n’avait guère eu l’occasion d’entendre et où une distribution particulièrement prometteuse suscitait les plus fortes attentes. Les artistes ne seront pas entièrement venus pour rien, puisqu’une générale donnée strictement à huis clos leur aura du moins permis d’interpréter cette partition une fois dans la capitale, même sans public.
La grève de la SNCF a aussi un impact sur les spectacles lyriques : c’est au prix de parcours épiques, parfois, que les artistes ont pu se rendre sur leur lieu de travail malgré les trains annulés. Et pour Forum Opéra aussi, décembre a pris des allures de gruyère (ou d’emmental). De nombreux spectacles auraient dû être couverts sur ce site, et n’ont pu l’être pour les raisons les plus diverses.
Malgré tout, à Paris, les collaborateurs de Forum Opéra ont parfois traversé toute la capitale à pied pour aller assister à tel ou tel concert. Attendant en vain un taxi coincé dans les embouteillages qui aurait dû pallier l’impossibilité de voyager en train, ils ont couru dans les rues et dans les couloirs du métro pour attraper une liaison ferroviaire miraculeusement maintenue. Ailleurs, il leur est arrivé de prendre l’unique train de la journée, quitte à consacrer vingt-quatre heures à un déplacement qui ne devait initialement en occuper que six ou sept au maximum. Devant l’incertitude portant sur les voyages en chemin de fer, certains théâtres ont même refusé purement et simplement d’accueillir les journalistes pourtant prêts à venir voir leurs productions.
Pour le moment, cependant, pas de grogne en vue, pas de grève annoncée à Forum Opéra. Profitez-en tant que ça dure, amis lecteurs.