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Mon dieu n’est pas le tien

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Edito
9 février 2020
Mon dieu n’est pas le tien

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Dans l’un des plus célèbres de ses contes philosophiques, Voltaire imagine un souper lors duquel Zadig empêche de s’entretuer un Egyptien, un Indien, un Chinois, un Grec, un Celte et « plusieurs autres étrangers ». Comment ? En leur révélant que tous, en fin de compte, adorent un Etre supérieur, quel que soit le nom qu’ils lui donnent. « Vous êtes donc tous de même avis, et il n’y a pas là de quoi se quereller ».

Avec l’opéra, c’est presque exactement l’inverse qui se produit. Tous les lecteurs de Forum Opéra aiment l’opéra – ou sinon, on supposera du moins qu’ils éprouvent un intérêt clinique pour les formes que peut prendre ce goût – mais ils aiment, sous un seul et même nom, des choses parfois fort différentes. « Mon ciel n’est pas le tien. Le Dieu que tu révères / N’est pas celui que je connais ».

Et il ne s’agit pas simplement d’opposer les adorateurs de l’Euridice aux thuriféraires d’Euryanthe, les zélateurs d’Ernani aux fanatiques d’Erwartung. Les différentes œuvres qu’ils appellent tous opéra ne se ressemblent guère, c’est vrai, mais peut-être parviennent-ils à s’entendre, puisqu’il est permis d’aimer à la fois le baroque et le contemporain, Verdi et Wagner, Gluck et Piccinni.

Parmi tous ceux qui vont dans son temple adorer l’opéra, il y a ceux qui célèbrent surtout le culte de la musique et ceux qui rendent avant tout hommage au théâtre. Certains parviennent à apporter la même dose d’offrandes aux deux autels, mais ils semblent rares par rapport aux membres exclusifs d’une secte ou de l’autre. « Hélas ! Que son amour est différent du mien », peut s’exclamer tel croyant lorsqu’il voit comment se manifeste la foi de l’autre. Et la tentation est alors grande pour le fidèle de déclarer : L’opéra c’est ceci et non cela, c’est ce que je crois et non ce qu’adore l’autre. Même si elles ne se déroulent qu’en paroles, l’art lyrique suscite des guerres de religion où chaque groupe excommunie l’autre. « Anathème sur eux ! Dieu ne les connaît plus ». Suppôts de Satan que ceux pour qui l’opéra se manifeste aux mortels sous tel aspect plutôt que tel autre. Pourtant, dira-t-on, les âmes pieuses n’auraient qu’à choisir leur temple en fonction du genre d’office sacré auquel ils aspirent, et si l’art lyrique n’a pas eu son Vatican II, on sait bien quelle église fréquenter ou éviter selon le rite que l’on souhaite observer. Encore faut-il avoir le choix, et le désir d’entendre tel prédicateur fameux pousse parfois les fidèles à s’aventurer en tel lieu de culte où ils savent qu’ils seront horrifiés par le décor et les accessoires.

Mais il y a pire encore. Au sein même du clan pour qui les oreilles priment sur les yeux, on s’entredéchire au nom du dieu – forcément unique – qu’il faudrait vénérer, et l’on édicte la Loi pour tous les autres croyants. Malheur à qui ne brûlerait pas assez d’encens devant la statue du Très Haut, malheur à qui ne chanterait pas assez fort la louange de Celui-qui-doit-être-admiré : il serait aussitôt condamné comme impie, comme indigne de pénétrer dans l’enceinte sacrée car dénué du vrai sentiment religieux qui devrait l’animer.

Devant ces manifestations d’intégrisme, on rêve parfois d’une laïcisation de l’opéra, qui ferait de l’art lyrique un pays où le blasphème n’existe pas…

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