Quel tohu-bohu ! La Bohème signée Claus Guth à l’Opéra Bastille surchauffe les esprits. C’est à qui s’indignera le plus et le plus fort. La transposition de l’intrigue dans l’univers de la science-fiction est l’occasion d’ajouter à sa liste d’insultes ordinaires de nouveaux mots empruntés au vocabulaire aérospatial. C’est « space », c’est « lunaire », c’est d’une « bêtise cosmique », d’un « vide sidéral ». Bref, on ne marche plus sur la lune mais sur la tête.
Au risque d’être réduit en poussière interstellaire, puis-je oser une confidence ? Si Dark Vador me l’autorise, j’aimerais beaucoup découvrir cette nouvelle production de l’opéra de Puccini. Et qui sait, peut-être prendrais-je du plaisir à voir Rodolfo et Mimi vivre leur amour en apesanteur plutôt que dans une sempiternelle mansarde glaciale. C’est qu’avec près d’une vingtaine de représentations de La Bohème au compteur, sans compter celles qu’apprenti-lyricomane, j’ai regardé à la télé, tard le soir, ou en cassette dans une de ces machines antiques que l’on appelait magnétoscope, je ne déteste pas être bousculé dans mes habitudes. Déjà Rigoletto encartonné par le même Claus Guth l’an passé ne m’avait pas déplu et, parce qu’il n’y a pas que Paris dans la vie d’un lyricomane impénitent, je suis curieux de savoir comment Katie Mitchell traitera cet été Ariane à Naxos à Aix-en-Provence.
N’est-ce pas finalement pas un peu à cause de moi si les metteurs en scène dont on déplore le despotisme blasphématoire ont pris le pouvoir ? A qui s’adressent ces relectures dépoussiérées d’ouvrages rebattus ? Au jeune public auquel on veut démontrer que l’opéra n’est pas un art ringard ? Aux néophytes que l’on veut convaincre de la portée universelle et intemporelle des chefs d’œuvre lyriques ? Ou, plutôt, aux passionnés qui collectionnent les titres du répertoire et qui pourraient à force de voir le même ouvrage représenté de la même manière se détourner de l’objet de leur passion ?
L’opéra, genre considéré élitiste et hermétique par ceux qui ne le connaissent pas, ne l’est-il pas encore davantage lorsqu’une explication de texte est nécessaire pour comprendre le sens de l’ouvrage représenté ? L’opéra, machine à rêves et à émotions, a-t-il besoin que l’on actualise son propos et brouille son message pour remplir son office ? L’opéra si on veut l’ouvrir au plus grand nombre ne doit-il pas jouer la carte de la simplicité en lieu et place d’une prétendue modernité ?
Ces questions ne s’adressent pas à Claus Guth – qui n’est coupable que d’avoir fait le boulot demandé –, mais aux maisons d’opéras – et Paris n’est pas la seule concernée – qui, au lieu d’avancer par à-coups médiatiques, devraient penser à se doter d’un télescope à plus longue portée. Il en va de leur survie et de celle du genre.