Que sont devenus les bons vieux scandales du Festival de Bayreuth qui voyaient s’étriper des messieurs chenus dans un Festspielhaus chauffé à blanc au milieu des huées d’une bronca faisant les délices des wagnériens amateurs de bagarres légendaires ? Pourtant en invitant l’américain Yuval Sharon à revisiter Lohengrin, les organisateurs avaient mis toutes les chances de leur côté : ce spécialiste des mises en scène avant-gardistes d’opéras réservés aux initiés nous promettait des sensations fortes. En ce 25 juillet, soir de première, le rideau se leva sur un Brabant décrépi situé au pied d’un barrage de montagne desservant une centrale hydro-électrique éteinte. Tous les protagonistes se déplaçaient dans une atmosphère crépusculaire et nous n’allions pas tarder à comprendre que Lohengrin était celui qui, tel le réparateur d’EDF, allait ramener la lumière et l’énergie. Piotr Beczala apparaissait alors un éclair à la main dans le crépitement des étincelles de la fée électricité. Heinrich siégeait sur un vieux transformateur devant une Elsa transformée en Marie-Antoinette vieillissante en affublant la belle Anja Harteros d’une énorme perruque blanc bleuté qui la faisait passer pour la mère du héros. Vêtus de noir pour indiquer à ceux qui n’auraient pas compris que les méchants, c’était bien eux, Telramund-Konieczny et Ortrud-Meier roulaient des yeux exorbités. Patatras, à l’entracte, la salle applaudissait à tout rompre et le succès continua de plus belle. Rien n’y fit, même la scène nuptiale qui voyait un Lohengrin sardonique ligoter Elsa avec une corde orange et mieux, l’apparition finale du jeune Gottfried, entièrement habillé d’un costume en pelouse verte – chapeau compris – le faisant ainsi ressembler à une pub Cetelem, ne suscita même pas un friselis de déplaisir.
Pour le reste, qui est le plus important, l’œuvre de Wagner fut servie avec honnêteté par une distribution homogène et à l’applaudimètre, Waltraud Meier remporta les suffrages en campant une Ortrud dont elle connaît par cœur les détours avec une capacité vocale intacte. Si l’hétérogénéité de la voix de Tomasz Konieczny en gêne certains, elle convient toutefois au personnage de Telramund, pantin manipulé par une femme assoiffée de pouvoir. Georg Zeppenfeld, en Heinrich, fut parfait, comme toujours. La déception vint sans doute des deux héros. Anja Harteros n’a plus la candeur de l’Elsa qui nous avions connue par exemple dans la création de Claude Guth et un très léger nasillement couvrait parfois un timbre et une amplitude sonore par ailleurs somptueux. A sa décharge, il faut dire qu’elle était desservie par la conception du rôle faite pour tuer tout charme et toute fraicheur au personnage. Quant à Piotr Beczala, il convient d’abord de rendre hommage à un artiste qui, après la défection de Roberto Alagna, a relevé le gant d’assurer quasiment au pied levé un rôle mythique dans une salle qui ne l’est pas moins. Les puristes auront noté quelques fautes de carre mais somme toute, même si le polonais ne sera jamais un Lohengrin historique, il a fait le job avec une diction sans défaut et une projection de qualité. Là aussi, le metteur en scène l’a souvent desservi, d’autant que Beczala n’est pas connu pour son intensité dramatique. Mais vraiment, positionner le chanteur dans le si attendu In fernem Land en conteur d’une histoire qui ne le concerne guère, prive le rôle de toute intériorité. Angela Merkel, qui pleurait à chaudes larmes en 2010 en écoutant Jonas Kaufmann dans l’exercice, a du garder ses mouchoirs dans son réticule … Pour mémoire, le chœur est superlatif et Christian Thielemann est à son affaire dans la fosse qu’il domine sans écart ni fulgurance.
On peut souhaiter que les représentations à venir aient peut-être raison de mes réticences même s’il faut se méfier des premières impressions puisqu’elles sont souvent les bonnes. Je laisse donc à Clément Taillia le soin de faire dans quelques jours une analyse détaillée et aux lecteurs de forumopera.com présents sur la Colline sacrée ou à l’écoute de la retransmission en direct sur France Musique la mission d’alimenter une polémique réjouissante.