Les annonces d’annulation ou de mises en danger de manifestations et de projets s’enchaînent dans la région susmentionnée (mais aussi ailleurs) alors que les conseillers ont voté en majorité la baisse de dotations pour la culture, le sport et diverses associations (de l’ordre de 82 millions d’économie sur un budget de 100), suivant donc les vœux de leur Présidente ; celle-ci, Christelle Morandais (Horizons), s’offusquant sur un réseau social du « monopole intouchable » d’un milieu présenté comme biberonné à l’argent public. En tout cas, entre nombreux autres, le festival « Ma région Virtuose » à Sablé-sur-Sarthe disparaît et l’annulation de la subvention régionale de plus de cent mille euros du festival « Premiers Plans » d’Angers fait grincer des dents. C’est peu dire que des événements pourtant bien installés dans le paysage culturel se sentent menacés, telle La Folle Journée. Les manifestations à Nantes en décembre n’ont pourtant eu aucun impact sur ce vote historique (20 décembre) et l’agence de notation Standards & Poor’s s’est empressée d’attribuer sa meilleure note à la région ligérienne. On avait peut-être tendance à l’oublier, mais les collectivités sont les premiers argentiers de la culture. En déficit, elles sont sommées par des gouvernements (de passage) de réaliser d’importantes économies. Bref l’heure est grave. Le comédien Philippe Torreton s’est ému dans une tribune vibrante – parue dans le journal Le Monde le 15 décembre – du péril mortel dans lequel se retrouvent trop d’acteurs et d’institutions. Sur France Musique le 28 décembre, Nicolas Dubourg, le président (démissionnaire) du SYNDEAC (réunion de syndicats du milieu artistique) révélait qu’avait été envoyée une lettre ouverte aux Parlementaires dénonçant les deux cents millions de baisse prévue au budget du Ministère de la Culture, sur un budget de 4, 5 milliards. Premières victimes : la création (avec pour prodrome la suppression annoncée du festival « Odyssées » du Théâtre de Sartrouville et des Yvelines, privé de trois cent cinquante mille euros par le Département), l’éducation artistique de la jeunesse, le fonds d’aide au cinéma, etc. Il suffit aussi de regarder les programmations pour 2025 d’autres événements et festivals totalement privés ou financés en partie par l’argent public (citons Les Chorégies d’Orange, Le Festival d’Aix-en-Provence) pour constater qu’une énorme réduction des ambitions premières est à l’œuvre et ce, malgré des campagnes de recherches de fonds et d’intervention du ministère en urgence (pour Aix). Et si quatorze Présidents et vice-présidents de régions se sont émus du coup de rabot radical ligérien et ont réaffirmé leur opposition à cette décision digne de « fossoyeurs de la culture » (dans les régions Bretagne et Bourgogne-Franche-Comté par exemple), beaucoup d’autres élus ont souligné le caractère inéluctable de ces baisses à venir ou déjà actées en raison du caractère gravissime de la situation financière, comme en Île-de-France, en Provence-Côte-d’Azur, en Nouvelle-Aquitaine ou en Auvergne-Rhône-Alpes. Des coupes régulières ont également déjà affecté de grands établissements tels l’Opéra de Paris, la Philharmonie, la Comédie Française ou le Louvre, pour ne citer qu’eux, mais ce sont les petites structures indépendantes qui craignent la disparition pure et simple si elles ne trouvent pas de financements privés. Et quand l’argent se fait plus rare, les querelles éclatent. Les opéras de région vont-ils longtemps accepter de se partager trente cinq millions d’euros quand l’Opéra de Paris en obtient encore cent à lui seul ? Or l’Opéra de Bordeaux perdra cette année cinq cent mille euros de la région (socialiste) et de la ville (écologiste). L’état dépense en moyenne quinze euros par Français vivant en province contre près de cent quarante pour un Francilien, rappelle Michel Guerrin dans son édito paru dans Le Monde (27 décembre). Il déplore l’aggravation à venir du fossé entre Paris et le reste de la France quant à l’offre culturelle. De fait, outre les inégalités de traitement, il faut bien prendre conscience que la tendance à la disette, voire à la famine est irréversible. Malgré les emplois en dépendant, malgré les recettes engrangées, il faut plus que jamais évoluer et trouver des solutions car « l’argent public n’existe plus » (C. Morandais). La Févis, fédérant 192 ensembles musicaux et vocaux indépendants, a déjà tiré la sonnette d’alarme. Son délégué général, Louis Presset, déplorait une chute du chiffre d’affaires de vingt pour cent en 2023 dans les colonnes des Echos en janvier 2024. Une enquête de l’APAS (Association des professionnels de l’administration du spectacle) publiée en avril 2024 révèle une diminution de moitié du nombre de représentations pour la saison 2024-2025 par rapport à la précédente. La maison brûle et nous regardons ailleurs ? Si la directrice des talentueux Talens Lyriques, Lorraine Villermaux, se félicite du modèle économique de son ensemble (mécénat, coproductions), elle n’a pas caché son inquiétude lors de l’annonce de sa saison. Les grandes scènes théâtrales en province sont sommées de favoriser les orchestres locaux, a-t-elle rappelé, et se produire en Europe sera également plus difficile pour les ensembles français alors que les régimes populistes progressent. La Scala de Milan devrait en effet bientôt n’engager que des artistes du cru. La programmation de l’ensemble fondé par Christophe Rousset à Milan fin mars 2025 sera peut-être la dernière, après le départ de l’intendant français Dominique Meyer.
Mais il est des raisons d’espérer, selon d’autres artistes prêts à se battre pour continuer d’exister. Dans une interview donnée chez un confrère, le claveciniste et chef Bruno Procopio, se livre à un éloge de l’orchestre vénézuélien El Sistema et de son modèle, seul apte selon lui à inspirer en partie la vision et le projet culturels qui manquent désormais cruellement en France et en Europe. Arnaud Thorette, musicien et directeur artistique de l’excellent Ensemble Contraste, a publié sur un réseau social une profession de foi optimiste adressée aux autres artistes, annonçant également la création d’un groupe de réflexion ouvert aux volontaires, le club Malraux, pour dessiner l’avenir de la politique culturelle française. Pour lui le constat est sans appel : il faut « redessiner ensemble le monde d’après (…) des orchestres aux festivals, des conservatoires aux intermittents. » Pour lui, chacun en effet à cette heure n’a d’autre choix que « d’inventer une autre façon de faire » et de diversifier ses sources de financement en sortant de l’état de « sidération » pour relever les défis actuels : coexistence dans la multiplication des modes de création, lutte contre l’emprise du divertissement mondialisé, rencontre des publics (qu’il faut aller chercher où ils sont). Voilà sans doute la nouvelle Bataille d’Hernani à mener pour transcender la catastrophe liée au tarissement de l’argent public.