Travail, famille, patrie : ces trois mots pourraient s’appliquer au parcours lyrique d’Ernest Blanc, s’ils n’avaient déjà servi dans des circonstances, ô combien sinistres, qui n’ont rien à voir avec la carrière du plus grand baryton français d’après-guerre. Hommage.
Travail. L’histoire a beau ressembler à un conte de fées ; elle doit autant à un travail acharné qu’à un don exceptionnel. Né à Sanary-sur-mer le 1er novembre 1923, Ernest Blanc est âgé de 20 ans quand il achève son service militaire. Il se prépare à reprendre son métier de tourneur à l’Arsenal de Toulon. Métier qu’il l’a choisi, qui lui convient, qu’il continuera d’ailleurs d’exercer, pour le plaisir, à ses moments perdus. Mais c’est sans compter sur un destin dont, depuis Verdi, nous connaissons la force. Un jour, un officier l’entend chanter et, déjà conquis par l’éclat naturel de son baryton, le convainc de s’inscrire au conservatoire de Toulon. Il en sort trois ans après avec un prix d’excellence. Les dates s’enchainent ensuite très vite. 1950 : il débute à l’Opéra de Marseille dans le rôle de Tonio (Paillasse). 1954 : son Rigoletto met Paris à genoux. 1958 : en interprétant Telramund à Bayreuth (Lohengrin), il est le premier français à fouler le sol sacré du temple wagnérien. Une ascension fulgurante qui peut donner une impression de facilité. La voix effectivement est innée : puissante, marquée et marquante mais sa longueur (du sol grave au si bémol aigu), sa noblesse, sa franchise ne doivent rien au hasard. A Marseille, Ernest Blanc est pris en main par Michel Leduc qui l’habitue progressivement à la scène, puis dès qu’il le sent prêt, le recommande à Maurice Lehmann. Engagé dans la Troupe de l’Opéra de Paris, Ernest Blanc poursuit son apprentissage jusqu’à ce que Wieland Wagner, après l’avoir auditionné, l’accepte dans le saint des saints : Bayreuth. Là encore, rien n’est acquis. Il prend des cours d’allemand et, conseillé par André Cluytens, s’initie patiemment à la musique de Wagner. « Je crois au travail » affirmait-il à Jean Gourret dans un entretien qui lui ressemble, sincère et modeste1. Son chant, taillé dans le marbre, est le fruit de ce travail.
Famille. Lors de ce même entretien, Jean Gourret faisait part à Ernest Blanc de critiques formulées à son encontre. On lui reprochait notamment d’avoir sacrifié sa carrière internationale à sa vie de famille. Après avoir chanté deux étés au Festspielhaus, en 1958 et 1959, le baryton avait renoncé au rite wagnérien « Bayreuth vous mange la moitié de l’été ». A la gloire, il préfère alors le temps passé auprès de sa femme et son fils, qu’il considère comme « les pivots de son existence »1. Chez lui, d’ailleurs, pas de rupture : personnel et professionnel se confondent. « J’affirme que mon équilibre familial a servi de base nécessaire à l’évolution de ma vie d’artiste […] La qualité de la voix et l’épanouissement de l’être sont totalement imbriqués »1 et aussi : « Je ne vais pas faire contrôler ma voix chez un professeur. Mais à chaque représentation où assistent ma femme et mon fils, j’écoute très attentivement leurs critiques »1. Ce fils, Jacques, après avoir mené une carrière de chef d’orchestre dans différentes villes de France, a pris en juin dernier sa retraite du poste de directeur des études chorales et vocales de l’Opéra National de Bordeaux. C’est lui qui aidera son père à « sortir de sa période d’hibernation » à la fin des années 60. Lui et Rolf Liebermann qui, nommé directeur de l’Opéra de Paris en 1973, fait revenir Ernest Blanc sur la scène du Palais Garnier pour interpréter ces rôles de baryton héroïques dans lesquels il est incomparable, mais pas seulement. Dans la liste, à côté du Comte de Luna (Le Trouvère, 1976) et du Grand Prêtre (Samson et Dalila, 1978), on trouve Salle Favart, en 1980, le Barbe-Bleue de Bartok.
Patrie. Entre le départ pour Bayreuth (1958) et le retour à Paris (1973), la carrière d’Ernest Blanc s’épanouit essentiellement à l’étranger. A Milan d’abord où il porte haut la muleta d’Escamillo (Giuseppe di Stefano est Don José et Giulietta Simionato, Carmen) puis à Glyndebourne, Edimbourg, Londres, Naples, Chicago, New York où il interprète un vaste répertoire, de Bellini à Wagner. Qu’il nous soit permis cependant de le préférer dans l’opéra français, où il ajoute à la force de l’expression une diction et une élégance exceptionnelles. A écouter cette voix marmoréenne, on pourrait la croire inébranlable. Ernest Blanc avouait au contraire être très sensible à la qualité de ses partenaires, à l’acoustique des salles, aux réactions du public. Il savait aussi choisir les rôles qui lui convenaient. Des grandes âmes avant tout et non de vils manipulateurs comme Iago ou Scarpia, deux personnages qu’il n’aimait pas interpréter. Dans la deuxième partie de sa carrière, il accentua ce trait en restreignant encore son répertoire à un petit nombre d’œuvres qu’il estimait pourvues de hautes qualités artistiques. Après 1980, on peut l’applaudir en père de Louise et en Golaud (Pelléas et Mélisande). Il fait ses adieux en 1987 à l’Opéra de Nice dans Manon de Massenet. Une de ses notices biographiques dit qu’il donna au personnage de Valentin (Faust) une dimension oubliée depuis Endrèze. C’est ainsi que l’art d’Ernest Blanc s’inscrit dans une grande tradition du baryton français qui prend racine à l’époque baroque (que l’on songe à Antenor de Dardanus) et perdure aujourd’hui à travers le chant de Ludovic Tézier par exemple. Une prestance, une hardiesse qui passe parfois pour de l’arrogance ou de la raideur mais qu’Ernest Blanc appelait à raison « art pur ».
1 Jean Gourret : Histoire de l’Opéra de Paris, 1669-1971, (portraits de chanteurs) – Editions Albatros
Discographie (sélection)
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Faust, Charles Gounod
André Cluytens; Chœurs et Orchestre du Théâtre National de l’Opéra de Paris
Victoria de los Angeles, Liliane Berton, Rita Gorr, Nicolai Gedda, Ernest Blanc, Boris Christoff, Victor Autran
EMI,1958 -
Lohengrin, Richard Wagner
André Cluytens Bayreuth Festival Orchestra & chorus
Sándor Kónya, Leonie Rysanek, Kieth Engen, Ernest Blanc, Astrid Varnay, Eberhard Waechter
Myto, 1958 -
Carmen, Georges Bizet
Thomas Beecham; Chœurs et Maîtrise de la Radiodiffusion Française, Orchestre National de la Radiodiffusion Française
Victoria de los Angeles, Nicolai Gedda, Janine Micheau, Ernest Blanc, Denis Monteil, Monique Linval, Jean-Christophe Benoit, Michel Hamel
EMI, 1959 -
Les Pêcheurs de perles, Georges Bizet
Pierre Dervaux; Chœurs et Orchestre du Théâtre de l’Opéra Comique Paris
Janine Micheau, Nicolai Gedda, Ernest Blanc, Jacques Mars
EMI, 1960 -
Iphigénie en Tauride, Christoph Willibald Gluck
Georges Prêtre; Orchestre des Concerts du Conservatoire
Rita Gorr, Ernest Blanc, Nicolai Gedda, Louis Quilico
EMI, 1961 -
Samson et Dalila, Camille St-Saëns
Georges Prêtre, chœurs René Duclos, Orchestre du Theatre National de L’Opera de Paris
Jon Vickers, Rita Gorr, Ernest Blanc, Anton Diakov, Remy Corazza, Jacques Potier, Jean-Pierre Hurteau
EMI, 1962 -
Les Contes d’Hoffman, Jacques Offenbach
Andre Cluytens, choeurs René Duclos, Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire
Nicolaï Gedda, George London, Ernest Blanc, Nicola Ghiuselev, Gianna d’Angelo, Elisabeth Schwarzkopf, Victoria de Los Angeles, Jean-Christophe Benoît, Christiane Gayraud, Robert Geay, Michel Sénéchal, Jean-Pierre Laffage, Jacques Loreau, André Mallabrera, Jacques Pruvost
EMI, 1965
Vidéographie
- The great opera singers : cette compilation comporte un extrait de Lohengrin, Acte II, donné en concert en 1965 avec Elisabeth Grummer, Isabel Strauss et Ernest Blanc
Bibliographie
- Georges Farret : Rita Gorr & Ernest Blanc : Les Telramund de Bayreuth, Editions Autres Temps
- Jean Gourret : Histoire de l’Opéra de Paris, 1669-1971, (portraits de chanteurs) – Editions Albatros