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Essentiels accessoires : L comme Lit

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Actualité
25 novembre 2019
Essentiels accessoires : L comme Lit

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Ah, le lit, meuble préféré de nos metteurs en scène d’opéra ! Depuis que Luchino Visconti, au festival de Spolète en 1973, situa le deuxième acte de la Manon Lescaut de Puccini dans un gigantesque dodo dessiné par Lila de Nobili (dont ce fut l’ultime travail pour la scène), couettes, traversins et édredons reviennent régulièrement dans les productions lyriques. Le lit, parental ou conjugal, étant le lieu du traumatisme par excellence, nos très psychanalysants hommes de théâtre s’empressent d’en placer un sur scène pour mieux nous expliquer les tourments de Roussalka ou de l’Impératrice de La Femme sans ombre. Robert Carsen, à qui renvoie notamment la phrase précédente, a même transformé en plumards multiples la forêt du Songe d’une nuit d’été britténien. Tout cela est bel et bon, mais dans quelles œuvres la présence d’un lit est-elle explicitement souhaitée par les librettistes et les compositeurs ? Menons donc un peu l’enquête…


On pourrait penser que le lit dut s’imposer très tôt sur les scènes d’opéra, étant donné l’importance des scènes de sommeil dans la tragédie lyrique, par exemple. Dans Le Couronnement de Poppée, quand Arnalta chante sa berceuse à la maîtresse de Néron, ce n’est pourtant pas dans un lit que la belle repose, ou alors dans un « lit de verdure », puisque Busenello situe précisément la scène dans un jardin. Ni draps ni oreillers en vue pour le moment.

Si l’on passe au fameux sommeil d’Atys, un demi-siècle plus tard, qu’a prévu Quinault pour que le grand sacrificateur de Cybèle dorme comme un bébé ? Toujours pas de matelas, mais « un antre entouré de pavots et de ruisseaux, où le dieu du sommeil se vient rendre accompagné des songes agréables et funestes ». Dans les jardins d’Armide, Renaud, lui aussi, devra s’étendre « sur un gazon, au bord de la rivière ».

Il semble donc qu’il faille quitter les héros mythiques, pour qui il serait infamant de s’abandonner sous la couette, et en arriver aux opéras décrivant des êtres plus humains afin de trouver un lit digne de ce nom. Avec Les Noces de Figaro, les coucheries passent au premier plan, et donc le couchage aussi, sans doute ? Gagné ! Dès la première scène de l’acte I, si Figaro mesure la pièce, c’est bien pour y placer un lit : « Io guardo se quel letto che ci destina il Conte farà buona figura in questo loco ». Cela dit, on parle du lit, mais on ne le voit pas encore. Alors, peut-être, au deuxième acte, situé dans la chambre de la comtesse ? Eh bien, non ! Da Ponte ne prévoit rien de tel : il y a des portes, une fenêtre, une chaise, mais rien où se coucher. Beaumarchais était pourtant plus précis : « Le théâtre représente une chambre à coucher superbe, un grand lit en alcôve, une estrade au-devant ».

Mais quand, alors, verra-t-on enfin un lit sur une scène d’opéra ? Allons voir du côté du Comte Ory, avec sa fameuse scène où « Sœur Colette » rejoint la comtesse Adèle dans sa couche, où l’a précédé Isolier. Scribe l’entendait-il bien ainsi ? Au deuxième acte, « Le théâtre représente la chambre à coucher de la comtesse. A gauche, un lit de repos ». Plus moyen d’y échapper ? Vous n’y êtes pas du tout. Car en réalité, loin du trio sur l’oreiller que nous montrent les productions actuelles, le livret prévoit quelque chose de bien plus chaste : tout se passe sur « le canapé » où Isolier s’est assis, la comtesse restant debout à côté dudit meuble. Quelle déception ! Le lit, déjà rendu moins intime par la précision « de repos », s’avère donc n’être qu’une banquette où l’on ne s’étend pas du tout…

Patience : avec l’avènement du drame bourgeois à l’opéra, les héros vont enfin pouvoir s’allonger et goûter le confort d’un bon sommier.

Lorsqu’on est une « grande horizontale », quoi de plus naturel que de s’étendre sur un lit ? La pauvre Violetta Valéry doit néanmoins attendre le dernier acte pour cela, et c’est bien parce qu’elle est à l’article de la mort. Du moins Piave ne tourne-t-il pas autour du pot. Quand le rideau se lève sur la troisième acte, les choses sont claires : « Camera da letto di Violetta. Nel fondo c’è un letto con cortine mezzo tirate ; Violetta dorme sul letto; Annina, seduta presso il caminetto, è pure addormentata ». Evidemment, la dame se lève tout de suite et restera sur un canapé – encore un – jusqu’à son trépas.

Le vérisme nous offrira-t-il enfin un personnage durablement alité ? Mimi pourra-t-elle expirer entre des draps, même s’ils ne sont pas de soie ? Oui, car le lit, mentionné dès le premier acte dans la mansarde, trouve son utilité au dernier. Lorsque Mimi arrive, Rodolfo et Marcello la portent dans la pièce « e la stendono sul letto ». Elle ne s’en relèvera plus. A l’autre bout de sa carrière, c’est dans un lit moins sinistre que Puccini fera s’étendre Buoso Donati, alias Gianni Schicchi, pour dicter ses dernières volontés au notaire. Dans Dialogues des carmélites, Madame de Croissy passe la première de ses deux scènes dans un fauteuil, et la seconde dans un lit où elle expire.

L’apothéose du lit d’opéra n’aurait-elle pas, cependant, été atteinte dès 1911, avec Le Chevalier à la rose ? Après les accents hautement orgasmiques de l’ouverture, tout commence « in einer Dame Schlafzimmer ». Evidement, la maréchale von Werdenberg ne couche pas sur un grabat, comme celui où Valentin condamne Marguerite à mourir, mais dans un « grand lit à baldaquin en forme de tente ». Pourtant, Hugo von Hofmannsthal prévoit que Quinquin et Bichette ne sont déjà plus dedans quand le rideau se lève. Malgré tout, on remet ça au troisième acte, avec une fois encore une alcôve à gauche où se cache à peine un lit, « grand à faire peur » selon Mariandel, mais où personne ne couchera.

Alors dans quel opéra vit-on pour la première fois un couple occupant un lit ? Pas dans Lulu, la dame préfèrant se faire culbuter par Alwa sur le canapé où le docteur Schön fut saigné comme un cochon. Non, c’est plutôt du côté du formalisme décadent de Chostakovitch dans Lady Macbeth de Mtsensk qu’il faut aller chercher, dans ce chef-d’œuvre de pornographie musicale : au deuxième acte, Katerina Izmaïlova est au lit avec son amant Sergueï, où leur union charnelle s’est consommée.

Après, comme on l’a dit, toute intrigue d’opéra peut désormais être transposée dans un lit, mais le compositeur n’y est le plus souvent pour rien…

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