Alors que l’Opéra des Flandres a plutôt habitué son public à des spectacles pour le moins ébouriffants, voici que son directeur, Aviel Kahn, a choisi de confier pour la deuxième fois une mise en scène à l’acteur autrichien Christoph Waltz, qui s’était essayé à l’exercice en décembre 2013 avec Le Chevalier à la rose. Christophe Rizoud avait alors souligné « la timidité du débutant, l’embarras de celui qui avance à découvert dans un genre aux codes complexes ». Quatre années plus tard, pour Falstaff, il ne semble malheureusement pas que Christoph Waltz ait acquis beaucoup plus de métier. Qu’il ait choisi de nous montrer de pas si joyeuses commères de Windsor, c’est son droit, mais que l’ensemble du spectacle dégage un ennui certain, c’est ce qu’on lui pardonnera plus difficilement. On pense d’abord que la représentation sera donnée sans entracte – ce qui ne suffirait pas tout à fait à lui donner plus de rythme, néanmoins – mais, surprise : le rideau se baisse après le premier tableau du dernier acte, soit après une heure quarante de musique alors qu’il en reste à peine une demi-heure. Après l’entracte, on comprend pourquoi : alors que toute la première partie s’est déroulée devant un rideau gris, on retrouve cette fois en fond de scène tout l’orchestre et tout le chœur installés sur une grande structure métallique censée évoquée en même temps la forêt, et après le châtiment de Falstaff et le mariage de Fenton et Nannetta, on aboutit à une sorte de version de concert où tout le monde (sauf le rôle-titre) finit en costume noir uni. Au fond, peut-être aurait-il été plus sage de commencer de la même manière, ce qui aurait aussi eu l’avantage de permettre à certains chanteurs de mieux se faire entendre. Car que signifie ce déplacement de l’orchestre ? Rien. Et qu’apportait la mise en scène aux tableaux précédents ? Pas grand-chose. Les costumes sont moitié Renaissance, moitié modernes, mais devant le terne rideau susmentionné, les éléments de décor se limitent à quelques meubles d’aspect historique, notamment une énorme table chargée de victuailles pour la chambre de Falstaff. Et quand elle disparaît, les chanteurs se retrouvent livrés à eux-mêmes dans un espace vide.
La direction de Tomáš Netopil s’est hélas mise au diapason de cette platitude scénique. Tempos sans grande imagination, trop lent pour « Quand’ ero paggio del duca di Norfolk », ou trop rapide pour permettre à la chanson des fées de déployer toute sa magie. Et comment peut-on laisser passer des instants aussi incroyables que l’évocation orchestrale de la baudruche qui se vide quand les commères chante « si gonfia, si gonfia, e poi crepa » ?
M. Suihkonen, D. Delaere, M. Colvin, A. Edri, J. Behr, J.M. Kränzle © DR
Heureusement, reste la distribution à laquelle on peut se raccrocher. Bien sûr, les personnages ouvertement comiques font les frais de cette ambiance morne : si Michael Colvin tire son épingle du jeu en docteur Caius, Bardolphe et Pistole sont devenus des individus bien ordinaires dont le chant ne cherche pas un seul instant à faire rire, à mettre en relief un mot ou un autre. Denzil Delaere et Markus Suihkonen font bien leur travail, même si l’on pourrait reprocher à la basse des sons un peu trop fermés (« Ômen » pour « Amen », par exemple). Parmi les dames, Kai Rüütel s’acquitte correctement du peu que Mrs Page a à chanter. L’excellente Iris Vermilion aurait dans la voix tout pour être une Quickly mémorable, si on l’aidait un peu à camper un personnage truculent. Anat Edri a le timbre frais qui convient idéalement à Nannetta, même si l’aigu semble parfois un rien trop bas. Visiblement plus à l’aise que dans sa Fiordiligi parisienne, Jacquelyn Wagner, enfin, est une Alice très élégante, mais dont le registre grave n’est pas toujours très audible, et qui reste un peu trop sur son quant-à-soi.
Cocorico, le Fenton de Julien Behr est superbe : jusqu’ici surtout apprécié comme mozartien, le ténor français confirme son adéquation avec le répertoire de l’ottocento, et l’on attend maintenant sa prise de rôle en Edgardo de Lucia di Lammermoor à Bordeaux ce printemps. Avec un timbre tout à fait adéquat et une diction exemplaire, Johannes Martin Kränzle compose un Ford délicieusement timoré. Découverte, enfin, pour Craig Colclough, baryton-basse qui s’est jusqu’ici surtout produit dans son pays natal, les Etats-Unis (on a pu néanmoins l’entendre en Jack Rance et en Kurwenal à l’English National Opera). Une fois encore, la mise en scène l’empêche de donner tout son vrai relief au rôle-titre, un comble pour un personnage tout en rondeurs, mais la voix est intéressante, à défaut d’être très puissante. Si l’Opéra des Flandres lui a confié ce Falstaff qu’il a déjà interprété plusieurs fois outre-Atlantique, c’est en Pistola que Covent Garden l’a engagé pour la reprise de la production de Robert Carsen en juillet prochain.